“Les clés de la voiture” : hypnose conversationnelle et suggestion cachée, par Milton Erickson

 

Milton Erickson, hypnose conversationnelle et suggestion cachée, allusions et évocations.

Ce texte est une note de bas de page de l’article « The “Surprise” and “My-Friend-John” Techniques of Hypnosis: Minimal Cues and Natural Field Experimentation », 1964.

La question de savoir s’il s’agit d’hypnose au sens d’un état ou plutôt d’une suggestion pourrait se poser. Mais l’intérêt réel est ce que ce texte dit du fonctionnement associatif du subconscient et de la technique consistant à provoquer la suggestion chez une personne de façon subliminale, c’est-à-dire sans qu’elle en prenne conscience, par des allusions et des évocations.
La possibilité même d’une telle approche pose une question pratique qui peut rapidement devenir une question éthique : celle du consentement.

De l’extérieur, Milton et son fils Bert ont l’air d’avoir une simple conversation, largement monopolisée par le fils. En souterrain se joue une toute autre partie.

“Il est possible de donner un exemple très simple et facile à comprendre pour expliquer comment cette façon d’accumuler des signaux minimes conduit à une réponse spécifique. Le reste de la famille était sorti pour la soirée, j’étais malade mais confortablement installé dans un fauteuil. Bert, mon fils de dix-sept ans, avait proposé de rester à la maison pour me tenir compagnie bien que ce ne fût pas nécessaire. Bert se mit à parler de choses et d’autres et notamment comment tout le monde s’était agité, s’était dépêché de s’habiller, de manger et de faire les bagages avant notre départ pour des vacances dans le nord du Michigan. (à cette époque, nous vivions dans le Michigan.) Il revint ensuite sur une partie de pêche, sur la chasse aux grenouilles et sur un plat de cuisses de grenouilles que nous avions mangé, sur un pique-nique à la plage, et sur le sable que les enfants les plus jeunes n’avaient pas manqué de répandre sur tout ce que nous mangions. Il se souvint aussi d’une grenouille albinos que nous avions trouvée dans une carrière abandonnée.

Il décrivit ensuite en détail l’agitation qui s’était emparée de nous pour sortir toutes nos affaires de notre bungalow de vacances, ce qu’on avait oublié, la chasse aux objets égarés, et comment les petits avaient disparu et notre précipitation pour les retrouver, la fermeture du bungalow, et comme nous étions morts de faim et fatigués en arrivant à l’hôpital général du comté de Wayne, près de Détroit, où nous vivions. 

À ce moment-là, il me vint vaguement à l’idée de suggérer à Bert de prendre la voiture et de rendre visite à des amis, mais cette idée s’évanouit lorsque Bert raconta en riant combien son frère Lance aimait manger le poulet frit de Grand-mère Erickson quand on revenait au Michigan depuis le Wisconsin. Il se rappela en riant beaucoup qu’une autre fois, son petit frère Allan avait amusé tout le monde, et surtout Grand-mère et Grand-père Erickson, en mangeant comme un « bulldozer », c’est- à-dire en portant son assiette à la bouche et en se servant méthodiquement de son autre main pour pousser lentement le contenu de l’assiette dans sa bouche.

De nouveau, il me vint l’idée, cette fois plus claire, de suggérer à Bert de prendre les clés de la voiture et d’aller faire un tour pour que je puisse lire tranquillement, mais je l’oubliais dès que je me rappelai les réflexions amusées de mon père sur l’efficacité et la vitesse indiscutables de la méthode d’Allan pour manger.

Alors que nous en riions, Bert parla du voyage à la ferme de mon père, et de Betty Alice âgée de six ans qui avait longuement et sérieusement expliqué à Allan, âgé de trois ans et qui s’inquitétait de savoir comment la maman poule allaitait ses petits, que les poulets n’étaient pas des mammifères et que seuls les mammifères allaitaient leurs petits. Alors que nous en riions, il me vint pour la troisième fois l’idée de proposer à Bert la voiture pour la soirée, cette fois encore plus clairement, et je compris pourquoi. Tous les souvenirs que Bert évoquait étaient des moments heureux et agréables qui étaient en relation avec le fait de conduire une voiture. Jusque-là, il n’avait pourtant pas prononcé le mot « voiture » ; ce qui s’en rapprochait le plus étaient les mots « faire les bagages », « voyage », « aller voir », « sortir de la vieille carrière », « descendre à la plage », « en revenant au Michigan depuis le Wisconsin », et le voyage à la ferme de mon frère, et pas une fois il n’avait mentionné le mot « clé » – refermer le bungalow était ce qui s’en rapprochait le plus.

Je compris alors ce qui se passait et je lui dis : « La réponse est « non ». Il rit et dit : « Bien papa, tu avoueras que la tentative était jolie. » « Pas assez ; j’ai pigé trop vite. Tu as trop insisté sur les voyages en voiture. Tu aurais dû parler de la mise en place de la palissade chez Ned, qui révisait notre voiture, de Ed Carpenter à qui j’ai acheté la voiture, de la fois où nous étions allés pêcher sous la glace avec la voiture d’Emile, ce qui aurait bien fait ressortir une voiture. Tu t’es donc trop limité à n’évoquer de manière indirecte que des voyages agréables, qui nous concernaient toujours, et toujours dans notre voiture. La conclusion à en tirer est devenue trop évidente. Est-ce que tu veux vraiment la voiture ? » Il répondit : « Non, j’ai juste voulu m’amuser un peu en t’amenant à me proposer les clés de la voiture. »

Vos commentaires ? 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut