Avant-propos
Il y a deux sortes d’influence à distinguer :
– action : inciter une personne à faire quelque chose en pensant qu’elle le fait de sa propre décision.
– représentation : influencer (sur le coup ou par avance) la façon dont une personne pense, ou va comprendre, interpréter, apprécier, ressentir quelque chose.
Les deux formes d’influence peuvent être liées puisqu’on peut passer par l’une pour parvenir à l’autre et que l’une comme l’autre peuvent passer par le fait d’influencer les croyances d’une personne, se attentes, etc…
Cependant il y a bien une différence notoire :
Si je dis à une personne « Ne pensez surtout pas à un bateau rose qui flotte dans le ciel ». En m’entendant prononcer ces mots, la personne ne peut pas ne pas se représenter un bateau rose qui flotte dans le ciel, surtout si je ne le dis pas trop vite. Elle y pensera à coup sûr. Le verbe « penser » renvoie à une représentation, et c’est une chose bien difficilement contrôlable volontairement. Qui n’a pas joué à évoquer des plats succulents pour faire saliver un ami qui vient de dire qu’il avait très faim ?
En revanche, si je dis à une personne « Ne me paye surtout pas un verre. » Il y a des chances que je meure de soif avant qu’elle décide, par esprit de contradiction de m’offrir un verre. C’est une action contrôlable, et la personne peut tout-à-fait facilement décider de le faire ou non. Commander à l’action de quelqu’un est une influence possible mais qui demande plus de subtilité et de discrétion dans la formulation. On privilégiera les suggestions indirectes et imperceptibles (subliminales).
C’est donc à l’influence des représentations que nous allons nous intéresser ici et non pas des actions.
Encore un détail important : dans un état ordinaire de conscience, la suggestion n’est pas une commande à laquelle on ne peut pas résister, c’est juste une nuance qui vise à influencer, mais qui n’est pas sûre de réussir. C’est pourquoi, en général, on combine diverses suggestions entre elles pour augmenter les chances de succès. L’efficacité de la suggestion dépend de beaucoup de paramètres extérieurs, et la même suggestion n’aura pas la même efficacité sur des personnes différentes, à des moments différents, prononcées de façons différentes, ou par des personnes différentes.
Nous ne traiterons pas ici de la suggestion dans un état d’hypnose ou dans un autre état altéré puisque alors les règles sont bien différentes. Il s’agit simplement ici de la suggestion dans la communication ordinaire, dans une relation normale, dans un état normal.
Propos
Prenons donc une expérience simple :
Je tends un seau d’eau tiède à une personne. Je veux qu’elle mette la main dans le seau et qu’elle trouve que l’eau est chaude. Pour qu’elle mette la main dans le seau, je vais simplement le lui demander.
Mais pour qu’elle trouve l’eau chaude alors qu’elle est parfaitement tiède, il faut que j’use de suggestions afin d’influencer son appréciation.
Voici donc une liste de formulations (quelques exemples seulement) suivies d’un petit commentaire sur leur pertinence dans cette expérience :
1. affirmation
- L’eau est chaude
2. instruction
- Trouve que l’eau est chaude !
- Je veux que tu trouves que l’eau est chaude !
- L’eau te semble chaude !
3. suggestion directe
- Tu as vu comme l’eau est chaude ?
- Mets ta main dans l’eau si chaude
- Attention, elle est peut-être chaude.
- Tu vas peut-être la trouver chaude.
4. suggestion indirecte par présuppositions
- Si tu veux te réchauffer, mets ta main dans l’eau ;
- Est-ce que l’eau est plus chaude dés que tu y mets la main ou après quelques secondes ?
- Est-ce que la chaleur de l’eau est encore supportable ou limite ?
5. suggestion indirecte par évocation
- Je boue d’impatience de connaître ton avis. Tu sais comment parfois on peut percevoir les choses différemment les uns des autres. Quand on partage son avis sur quelque chose parfois, ça devient chaud, même. Quand il fait 30°c, si tu viens d’Egypte, tu n’auras pas chaud alors qu’un norvégien pourra vraiment trouver qu’il fait trop chaud. Tiens, mets ta main dans l’eau, doucement, fais attention et dis-moi comment tu la trouves ?
Là aussi il y a des catégories (saupoudrage, etc…) mais qui ne nous semblent pas toujours pertinentes et pas utiles à détailler ici.
Les suggestions non verbales :
La pantomime : c’est un type de suggestions particulièrement efficaces si exécuté subtilement et non sur-joué. Je peux par exemple, mettre la main dans le seau moi-même mais faire mine de me brûler puis souffler sur ma main comme pour la refroidir. Le oui et le non : c’est une forme de suggestion non-verbale combinée à la suggestion verbale. Je peux dire par exemple « l’eau est peut-être froide, ou tiède ou alors l’eau est très chaude ». Et au moment ou je dis les mots « froide » et « tiède », je fais un léger geste « non » de la tête et peut-être une légère moue d’incrédulité. Lorsque je dis « l’eau est chaude » je le dis avec une voix légèrement plus projetée, plus assurée et en faisant un geste « oui » de la tête avec une expression de conviction. Cette suggestion, si elle est répétée et combinée avec d’autres est étonnamment très efficace avant et pendant l’expérience. L’effet de contraste : je peux mettre un seau d’eau glacée et un seau d’eau tiède. Je demande alors à la personne de mettre d’abord la main dans l’eau glacée avant de la mettre dans l’eau tiède qu’elle trouvera chaude.
Ici c’est le contexte qui influence le jugement. Je peux mettre en scène le contexte afin qu’il influence le jugement de la personne.Le contexte : de la même façon, je peux mettre au mur des photographies et images évoquant la chaleur ou bien tenir la pièce particulièrement froide. Ca ne suffira sûrement pas, mais ça peut contribuer au faisceau convergent.
Conclusions
Ce ne sont que quelques exemples de suggestions et bien sûr il en existe beaucoup d’autres formes. Mais ces catégories principales vous permettrons d’y voir un peu plus clair. Retenez une chose : lorsqu’il s’agit des représentations (jugements, appréciations, perceptions, sensations, goûts, etc…) plus une suggestion est subtile, subliminale et imperceptible et plus elle est efficace.
Suggestion et hypnotisme
Dans le champ de la recherche moderne, au XIXe siècle, la suggestion comme puissance d’influence a commencé a être étudiée dans le cadre des recherches sceptiques sur l’hypnotisme. Puis rapidement, à cet époque, les chercheurs ont distingués ces deux phénomènes et étudiés séparément l’hypnotisme et la suggestion.
Dans le cadre de l’hypnotisme, ce qu’on appelle la « suggestion hypnotique » est un phénomène assez distinct de la suggestion en général et qui mérite d’être étudié à part.
Cependant, pour parvenir à plonger une personne dans un état second d’hypnose, on s’est rapidement rendus compte que les suggestions (telles que décrites plus haut) ajoutaient beaucoup d’efficacité aux techniques physiologiques mécaniques et pouvaient même les remplacer. En gros, l’hypnose et la suggestion sont deux choses totalement distinctes, mais on peut obtenir de l’hypnose par la suggestion.
En réalité, la suggestion bien maîtrisée permet de recréer « artificiellement » beaucoup d’états altérés comme l’ivresse, la narcose, le sommeil, la stupeur, l’euphorie, le somnambulisme, l’obnubilation, l’obsession, la colère, etc., sans aucune substance et sans préparation préalable. Pas étonnant alors que la suggestion permette de provoquer des états d’hypnose.
Mais le plus étonnant, c’est qu’elle permet d’obtenir sans passer par un état altéré la plupart des phénomènes d’illusion, d’hallucination, et de distorsion de la perception, de la mémoire, etc. qu’on obtenait jusque là avec les personnes en somnambulisme hypnotique ou des personnes en crise hystérique.
Les mots peuvent influencer à tel point notre jugement qu’ils changent les règles de notre réalité, sans même avoir à être dans un état second.
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