Faut-il encore lire l’ « Homme de Février », de Milton Erickson ?

Faut-il encore lire l’ Homme de Février ?

Pour répondre à  un débat récent sur les réseaux sociaux spécialisés, et où Erickson s’est vu une fois de plus qualifié d’obsolète par les hypnotistes les moins attachés à  la culture de l’hypnose, je voudrais tenter de donner mon avis, de façon désordonnée et sûrement peu pédagogue sur la question suivante: Est-ce que le fameux livre L’Homme de Février, de Rossi & Erickson est toujours une lecture à  conseiller aux apprentis hypnothérapeutes? A-t-il encore de l’intérêt, ou est-ce qu’il s’agit d’une vieille référence surestimée?

Le livre

Sans entrer dans le détail du contenu, j’aimerais situer rapidement l’ouvrage? : il s’agit d’une hypnothérapie entière (quatre séances) menée en 1945 par Milton Erickson. Quelques 34 ans plus tard, son élève Ernest Rossi l’invite à  décrypter ce travail, donnant lieu à  quinze heures d’entretien. Le livre reprend la transcription de l’hypnothérapie ainsi qu’un condensé des commentaires et conseils issus de l’analyse.

Le cas : une jeune femme souffre de dépression et d’une phobie sévère de l’eau. Un événement de son enfance est enfoui dans sa mémoire, qui la dépeint comme responsable d’un accident qui faillit couter la vie à  sa soeur… par noyade.

Erickson accompagne cette jeune femme dans des régressions hypnotiques où elle se prend successivement pour elle-même à  différents âges de l’enfance. A chaque fois, durant ces expériences hypnotiques, la jeune femme, qui se prend pour une enfant, fait la rencontre de cet «homme de Février» qu’incarne alors le Dr Erickson.

Une lecture pour débutant?

De mon point de vue, L’Homme de Février n’est pas une lecture de base. Elle ne s’adresse pas à  de futurs hypnothérapeutes dans leur première phase d’apprentissage.

Il faut bien considérer que l’approche du Dr Erickson reflète bien peu l’hypnothérapie telle qu’elle est pratiquée et enseignée aujourd’hui, même au sein du courant qui se baptise « hypnose ericksonienne». La lecture de ce livre peut dérouter un apprenti qui n’y retrouvera pas nécessairement ce qu’il a appris.

Il y a beaucoup d’autres livres plus simples et plus directement utiles à  lire avant celui-là , même concernant le travail du Dr Erickson. Lire ce livre trop tôt dans son apprentissage peut faire passer à  côté de son intérêt.

Par exemple, il sera mieux compris après avoir lu le livre « Innovations en hypnothérapie », Tome IV des Articles de Milton Erickson sur l’hypnose (qui contient d’ailleurs dans son édition française un article qui est la version courte de l’Homme de Février). Et pour aborder les travaux d’Erickson mis en lumière par Rossi, il est préférable de commencer par Experiencing Hypnosis ou Hypnotic Realities, plus basiques.

Cependant, je conseille aux apprentis de lire rapidement des livres qui leur donnent un aperçu stimulant de l’horizon de leur apprentissage. Lire des manuels de base éveille peu l’imagination, et lire des récits plus épatant inspire davantage et nourrit la vocation, alimente la motivation.

Lisez dans l’ordre ET dans le désordre. Et si vous lisez un livre trop tôt, vous le relirez plus tard avec un autre regard. De toute façon, si l’hypnose est pour vous une passion, vous avez tout le temps devant vous pour apprendre et réapprendre.

Un outil d’hypnose médicale

L’Homme de Février décrit une hypnothérapie sur une patiente souffrant d’une pathologie psychiatrique relevant d’un traitement médical, et menée par un médecin psychiatre. Les outils décrits sont donc surtout utiles pour l’exercice de l’hypnose en psychiatrie par des personnes dûment autorisées.

La plus grande partie des hypnothérapeutes actuellement ne sont pas des professionnels de santé et travaillent sur des problèmes qui ne constituent pas une pathologie relevant du soin médical (c’est mon cas).

Par conséquent, ils peuvent trouver un grand intérêt personnel à  la lecture de ce livre et y puiser des conseils pour leur pratique, mais il est possible aussi qu’ils considèrent que ça ne les concerne pas directement. En effet, ils n’ont en théorie pas à  gérer des cas aussi lourds nécessitant un déploiement d’outils si sophistiqués, et peuvent se contenter de méthodes plus légères et plus douces.

Mais quand on est passionné, l’intérêt pour la matière peut largement dépasser l’horizon réduit du cadre bien délimité de notre pratique en cabinet.

Erickson obsolète ?

La méthode thérapeutique décrite dans L’Homme de Février ne reflète pas les valeurs et l’éthique qui dominent dans le discours de la plupart des formateurs en hypnothérapie aujourd’hui en France. Je m’inclus parmi eux. En effet, bien qu’il s’agisse d’un travail indirect et qui contribue à  faire émerger chez la patiente ses propres solutions, le thérapeute joue un rôle extrêmement fort et son influence est très grande à  chaque étape de la thérapie. Or, il est d’usage désormais chez beaucoup de formateurs de prôner un rôle plus modeste du thérapeute, et un travail moins guidé. D’ailleurs on a développé beaucoup d’approches plus douces allant dans ce sens comme des variantes de l’hypnoanalyse, des outils de maïeutiques thérapeutique en hypnose, un travail sur la symbolique, ou encore l’usage des métaphores.

Mais comment reprocher à  Erickson en 1945 de ne pas utiliser les innovations ultérieures qu’il a d’ailleurs en partie inspirées ? Il faut se garder de lui faire une accusation anachronique. C’est un poncif de dire «Il faut remettre le texte dans son contexte», mais on ne devrait même pas avoir à  le dire. On lit un document historique, et qui correspond à  une époque, un milieu, un lieu, une culture… Cela ne signifie pas que ce soit «dépassé» voire obsolète, mais qu’Erickson porte sa propre parole, et non la nôtre.

En effet, la plupart des travaux d’Erickson contredisent joyeusement les precepts éthiques de l’hypnothérapie contemporaine. On a parfois de lui l’image de quelqu’un qui ne fait pas grand chose pour que ses patients changent et qui leur laisse une liberté totale et respecte immensément leur intégrité. Mais si on lit ses cas réellement, on est frappé de voir tout le travail qu’il met en place pour amener ses patients exactement là  où il l’a décidé, et dans des expériences très particulières qui questionneraient le plus souvent l’éthique contemporaine. Rappelons toutefois qu’il ne s’agit pas d’hypnothérapie paramédicale de confort, mais d’hypnothérapie psychiatrique.

Si l’on remet en cause la lecture de cet ouvrage pour des raisons d’éthique, il faut questionner l’héritage d’Erickson tout entier, et la revendication de pratiquer une hypnose «ericksonienne». Et ne pas lire un livre parce qu’il est moralement discutable, c’est la porte ouverte à  une censure assez inquiétante. Gardons foi dans l’intelligence que les lecteurs peuvent mettre à  faire la part des choses qu’ils lisent, et à  les replacer dans leur contexte.

Le danger est de vouloir faire d’Erickson un professeur actuel pour les apprentis hypnothérapeutes, et donc, de le tirer vers un discours et une approche modernes qui ne sont pas les siens. Il reste une référence historique clef qu’il est utile d’enseigner en tant que telle, c’est-à -dire avec beaucoup de patience et de déférence, mais aussi avec beaucoup d’esprit critique et de recul. Il est un objet d’étude considérable, mais ne devrait pas être un objet de dogme ou de culte.

Pratique et culture

On dispose de si peu de temps pour former les futurs hypnothérapeutes actuellement qu’on se concentre bien souvent sur la transmission d’outils. Cependant, chacun d’entre eux, dans sa démarche d’apprendre ce métier, doit avoir une vision à  long terme, patiente, et doit être prêt à  étudier la matière bien au-delà  de ce qui est transmis en quelques semaines de séminaires pratiques. C’est une chance que la majeure partie de la formation de l’hypnothérapeute se fasse encore en autodidacte, ce qui assure une plus grande responsabilisation des praticiens face à  leur matière.

Mais la matière «hypnose» n’est pas que l’acte d’hypnotiser. C’est aussi une histoire, des mécanisme, des humains, des théories, etc…

Et apprendre l’hypnose, ce n’est pas seulement apprendre le «How to» (comment faire), mais aussi le «What» (de quoi il s’agit).

C’est la part de culture du professionnel sur sa discipline. De mon point de vue, c’est là  que se fait une grande différence entre les praticiens. L’impact de la connaissance de sa matière est immédiat sur la pratique et sur les résultats. Il est fondamental de comprendre ce qu’on fait pour bien le faire.

En tant que formateurs, on dispose de trop peu de temps avec les élèves pour leur raconter toutes les histoires qu’ils pourraient trouver par eux-mêmes dans les livres. Mais il est de notre devoir de leur transmettre, en plus d’une compétence à  la pratique, une connaissance de ce qu’est l’hypnose thérapeutique et notamment à  travers les auteurs de référence.

On peut aiguiller les élèves vers des ouvrages afin de leur montrer «Voilà  par exemple ce que faisait Puységur», «Voilà  par exemple ce que faisait Liébault», «Voilà  par exemple ce que faisait Godin», «Voilà  par exemple ce que faisait Erickson»…

Or, L’Homme de Février peut être un bon condensé de l’approche d’Erickson, surtout pour bien montrer son goût prononcé pour les régressions, et son approche stratégique et préparatoire. C’est un cas très complet et très représentatif de l’oeuvre d’Erickson. Un élève qui s’est inscrit dans une formation à  l’hypnose ericksonienne devrait,? à  un certain stade de son apprentissage, avoir connaissance de l’approche qu’Erickson développait à  cette époque, et qui reste assez caractéristique de son travail en général. Les 250 pages de ce livre offrent un bon condensé.

Culture et vulgarisation de l’hypnose

A mon avis, dans un domaine pratique comme l’hypnothérapie, il faut considérer deux approches de la culture et de la pédagogie :

  • Les sources : j’accède à  une source qui m’explique quoi faire, qui me donne de l’information claire et exploitable. Je n’ai qu’à  me baisser pour m’y abreuver.
  • Les mines : j’accède à  une mine d’informations qui a priori ne m’explique pas quoi faire ou quoi comprendre, mais en la travaillant, en y réfléchissant, en l’analysant, en creusant je découvre des choses applicables, des informations ou des techniques.

Les sources : les manuels et livre de vulgarisation

La source immédiate demande moins d’effort. Mais elle est également vecteur d’uniformisation (tout le monde apprend la même chose) et de dogmatisme (on finit par croire que c’est ce qu’il faut savoir sur la question). Et puis, disons-le, on peut espérer de la part de gens qui veulent se consacrer au lourd sacerdoce de prendre en charge les maux d’autrui qu’ils ne se contentent pas de sources vulgarisées pour le grand public, mais qu’ils fassent un vrai travail d’étude dans leur domaine, sans rechercher la facilité ou l’immédiateté. L’enjeu est de taille et mérite de l’effort et la discipline pour s’y former.

On peut bien-sûr rechercher des «manuels», des livres qui nous disent directement «faites-ceci, faites cela». Ils peuvent même être une bonne base pour démarrer l’apprentissage (mais insuffisants pour démarrer la pratique professionnelle).

Mais dans le domaine de l’hypnose, les ouvrages sont de plus en plus simplifiés et vulgarisés, même lorsqu’ils s’adressent à  des professionnels. à€ force d’éliminer toutes les sources qui demandent de se creuser un peu la cafetière pour en tirer quelque chose, on va finir avec «Oui-Oui fait de l’hypnose» comme unique manuel de référence des praticiens. La nouvelle norme, pour faire un livre de vulgarisation qui ait un peu de succès, c’est de remplacer autant que possible le texte par des images et d’écrire peu et très gros.

Il est de la responsabilité de chaque professionnel de se battre contre ce nivellement par le bas et pour la dignité de la profession et de faire l’effort d’enrichir sa connaissance au-delà  de la lecture d’un «Que sais-je? » ou de «Ma voix t’accompagnera».

Descendre dans la mine : fabriquer l’info soi-même

L’avantage de la mine d’informations, moins applicables immédiatement, mais qui demande de faire marcher sa tête pour en tirer des ressources, c’est qu’on peut en extraire une matière personnelle, unique, qui enrichit le champ des pratiques. Une personne qui la découvrira avec trop peu d’attention pourra passer à  côté de ce qu’il y a à  en tirer. Et d’ailleurs ce qui sera mine d’or pour l’un sera sans intérêt pour un autre, car en réalité, ce sont surtout des supports de réflexion permettant au lecteur de découvrir de nouvelles informations et de nouveaux apprentissages à  l’intérieur de lui-même.

Chacun en a une lecture propre, et ressort de cette mine avec ses propres pépites. Cela évite que se refilent sur le marché les mêmes pépites usées puisées dans la mine il y a trente ans et passées entre de nombreuses mains. Ce travail personne ajoute de la valeur à  la connaissance générale.

L’Homme de Février : un bon contre-modèle ?

Parmi les façons de creuser une mine et d’y puiser, il y a notamment ce? qu’on pourrait appeler les «leçons à  tirer du passé». Pour ne pas reproduire les écueils de nos ainés, il faut bien les connaître et les avoir digérés. L’histoire de l’hypnose, comme l’histoire des autres sciences et pratiques, est faite de beaucoup de tâtonnements et d’erreurs. Puis nous les corrigeons, nous améliorons nos outils et développons des approches qui résolvent ces problèmes pour en poser de nouveaux.

Mais si on ne connaît pas l’histoire de sa propre matière, on se contente de répéter les mêmes erreurs. Et c’est parfois ce qui se produit dans cette discipline. Un manque de vision perspective de l’hypnotisme jusqu’à  notre pratique amène certains praticiens à  commettre les mêmes erreurs qui avaient amené à  l’abandon de l’hypnose à  la fin du XIXème siècle.

Or, je suis parfaitement prêt à  admettre toutes les critiques actuelles adressées au travail de Milton Erickson, et notamment à  ce cas. Mais alors, en quoi sa lecture en est rendue moins intéressante. Si Erickson décrit là  exactement ce qu’il ne faut plus faire, alors il est très utile que les apprentis connaissent bien ce cas afin de se dire « houla, zut, je suis en train de faire comme dans L’Homme de Février, je dois corriger le tire». Il est même très utile qui le lisent en se disant «Tiens, à  la place de ça, je ferais plutôt ci, et à  la place de ci, je ferais plutôt ça». Si bien qu’ils en apprennent énormément et d’une façon qui stimule leur créativité professionnelle et les entraîne à  penser leur outil.

Mais évidemment, l’apprentissage des contre-modèles arrive probablement après avoir ingéré les bonnes pratiques elles-mêmes, qui sont prioritaires bien entendu.

Un livre sur la régression ?

Pas seulement, L’Homme de Février brasse très large et permet, même si on souhaite laisser le travail sur le passé de côté, de découvrir au passage des usages de la distorsion du temps, de l’écriture automatique, et beaucoup d’autres outils très performants pour le praticien actuel. Ne rien en tirer, c’est sûrement l’avoir lu un peu vite. Si le diable se cache dans les détails, peut-être que l’apprentissage aussi. Faisons bien la différence entre lire un texte et l’étudier. C’est la même différence qu’entre écouter une musique et l’étudier, ou entre regarder un match de tennis et l’étudier. La même différence qu’entre écouter le chant des oiseaux et étudier le chant des oiseaux.

Les deux sont bons. Mais l’ambition n’est pas la même. Et celui qui se voue à  une carrière et s’apprête à  être rémunéré pour son expertise sur un sujet ne se contente pas de l’approcher mais l’étudie.

Le problème de la régression

Avec tout cela, je n’ai pas encore répondu au reproche principal fait à  L’Homme de Février. Cet ouvrage présente une psychothérapie qui consiste à  revisiter par la régression en âge, le passé du patient et à  en modifier le contenu pour qu’il cesse de provoquer des névroses au présent.

Or, de nos jours, les formateurs en hypnothérapie déconseillent fortement de toucher au contenu des souvenirs, et d’une manière générale, préconisent de travailler sur des représentations métaphoriques neutres ou sur des représentations de l’avenir plutôt que sur les souvenirs.

«Ne pas changer le passé !»

Dire qu’il ne faut pas changer le passé des patients, c’est dire une évidence. On ne change jamais le passé et on ne le peut pas. à€ moins d’avoir une machine à  remonter le temps.

On n’explore jamais le passé, et le passé n’est jamais la solution au problème.

En réalité, ce sont les souvenirs qui peuvent éventuellement poser problème. Encore qu’il y ait peu de chances pour que ce soit les souvenirs en eux-mêmes. Mais tout au mieux, on peut travailler sur des souvenirs, c’est-à -dire la représentation qu’une personne se fait aujourd’hui d’un événement, d’une période, d’un lieu ou d’une personne, rencontré ou vécu dans son passé.

Modifier la mémoire, les souvenirs ou le passé ?

Disons donc plutôt qu’on ne doit surtout pas changer le contenu des souvenirs, lorsqu’on travaille avec la régression. Voilà  ce qu’on m’a appris dans mes cours d’hypnose, et ce qui est généralement enseigné.

Il y a deux présupposés à  cette interdiction :

  • que la véracité des souvenirs est importante. Qu’ils doivent être aussi peu modifiés que possible. On prétend pourtant que la mémoire est plastique et créative et qu’elle se reconstruit sans cesse pour aller dans un sens qui nous arrange au présent. Si c’est le cas, alors cette plasticité est précisément matière à  thérapie. On peut considérer que la mémoire n’a pas pour fonction de graver le témoignage fidèle du passé, mais de créer un récit biographique en soutien de l’action présente. En ce cas, modifier ce récit pour améliorer l’action présente peut être le propre d’une forme de «psychothérapie de l’autobiographie».
  • qu’il est possible de changer les souvenirs par la régression hypnotique. Or, ce présupposé reste à  prouver.Quand on fait régresser une personne à  l’âge de 6 ans, et qu’on parle avec elle en se présentant comme un ami de ses parents par exemple, quand elle se réveille en fin de séance, la personne ne dit JAMAIS? : «Mais je vous reconnais, vous, vous êtes un amis de mes parents, je vous ai vu quand j’avais 6 ans, bizarre que vous n’ayez pas vieilli depuis». Je n’ai JAMAIS vu ça, ni lu aucun témoignage dans ce sens.

Cela signifie quoi ? Qu’on n’agit pas sur la mémoire réelle des évènements passés. La part du sujet qui joue le jeu durant la régression hypnotique, comprend bien qu’il ne s’agit pas d’une ré-écriture de la mémoire du passé, mais un support métaphorique pour une ré-écriture du récit biographique au présent et des conséquences au présent et dans l’avenir.

Evidemment, en hypnose, sur certaines personnes, on peut modifier leur souvenir de quelque chose, mais il faut le demander spécifiquement et c’est évidemment une pratique très discutable. J’ai ainsi croisé un jeune homme qui se vantait de faire arrêter les gens de fumer en leur disant «vous n’avez jamais fumé, vous perdez tout souvenir d’avoir fumé, et vous êtes certain de n’avoir jamais fumé». Evidemment, les souvenirs ne sont pas supprimés, mais ce jeune homme créait chez ses clients une sorte de refoulement et une vision délirante de leur propre histoire, ce qui peut avoir des conséquences très graves sur leur personnalité et sur leur vie sociale. Mais là , n’est pas en cause la ré-écriture de la mémoire par la régression. Il s’agit d’un ordre de refoulement, comme une sorte de papier collé de force sur une partie de la mémoire pour la cacher.

Changer le contenu d’un souvenir durant une expérience d’hypnose, ça ne semble pas perturber la mémoire d’une personne d’une façon névrogène. La régression ne change pas la mémoire. Elle permet surtout d’accéder à  des strates d’apprentissages au présent qui sont plus «essentielles», plus proches du noyau, coder directement à  la source, ou du moins plus près de la source.

Faut-il snober l’approche d’Erickson ?

Dans une approche permissive où l’on laisse l’expérience métaphorique émerger d’elle-même, et sa modification aussi, il arrive très souvent qu’une personne témoigne du fait qu’elle a revisité un événement passé sous un angle différent, ou avec quelque chose de nouveau dans le contenu. Parfois, elle revit un événement traumatique. Et c’est souvent cela qui va faire levier de changement et d’apaisement. Dans ce cas, le praticien n’est pas fautif puisqu’il n’a pas demandé que ce soit un souvenir qui serve de support métaphorique, et il n’a pas demandé qu’il se modifie ou que soit revécu le traumatisme. Ça s’est fait tout seul. Pourtant, la personne va mieux. Il y a beaucoup à  apprendre de ce que font les personnes spontanément de thérapeutique lorsqu’on ne leur demande rien de spécifique.

Il semble que la relecture du souvenir soit une approche efficace. On peut souhaiter exercer une autre forme d’hypnothérapie que celle qui consiste à  s’appuyer sur la mémoire et la régression. Mais ce choix personnel ne change en rien le fait que la régression constitue bel et bien un outil disponible dans la boite à  outil de chaque praticien. Or, les formateurs peuvent justement renvoyer à  cet ouvrage s’ils souhaitent que l’élève découvre cet outil et fasse son propre choix de l’utiliser ou non, sans avoir à  passer du temps dessus durant leurs séminaires. Ceux qui sont les moins friands de ce type d’outils sont ceux qui ont le plus intérêt à  se débarrasser de cette part de transmission en conseillant la lecture de ce livre.

La phobie du faux souvenir

Le rejet d’un travail sur le contenu de l’expérience passée a peut-être atteint son paroxysme avec Bandler et Grinder qui, prétendant s’inscrire dans l’héritage d’Erickson, ont proposé pourtant une méthode thérapeutique qui agit uniquement sur la forme de l’expérience et des représentations de l’expérience, sans toucher au contenu. Or, il y a là  davantage l’influence sur eux de Fritz Perls et d’autres thérapeutes plus modernes dans leur approche qu’Erickson.

Il s’agit non plus de changer ce qui est arrivé, mais de changer la taille de l’image, sa distance, sa couleur. Mais l’image affiche toujours le même événement.

Dans les faits, quand on pratique cela, on voit qu’un grand nombre de personnes témoignent du fait que le contenu de l’image change peu ou prou lorsqu’ils en modifient les paramètres. Surtout dans un bon état hypnotique où il ne semble pas du tout gênant pour le sujet que son expérience se modifie grandement et même de façon très fantaisiste.

Cependant, cet effort de travailler sans intervenir dans le vécu du patient, en lui proposant juste d’en manipuler les formes, est un élan extraordinaire de la fin du XXème en psychothérapie en général. Et cette approche permet notamment de transmettre une pratique de l’hypnothérapie appropriée à  la pratique de personnes n’ayant que peu de connaissances en psychologie et non habilitée à  la pratique de la psychothérapie et a fortiori de la psychiatrie. L’hypnothérapie formelle est parfaite pour une ouverture de l’acte et une application soft à  des troubles mineurs.

Le risque est de considérer que cet apport rend définitivement obsolète et infréquentable toute approche s’intéressant au contenu et osant mettre les mains dedans. L’un n’exclut pas l’autre. Et devant certains troubles plus graves, il n’est pas certain que l’effleurement symbolique suffise toujours.

A mon avis, C’est une des exagérations en thérapie de la phobie des faux souvenirs induits.

Quand on a mis en évidence le phénomène des faux souvenirs induits (déjà  chez Binet), on a commencé à  s’inquiéter de l’influence des suggestions sur la mémoire. Finalement, on en est arrivé à  craindre de travailler sur les souvenirs, les révélations, etc… et a rejeter ces méthodes. Ce qui est probablement excessif. D’autant que chez une personne saine, la proportion de fiction dans un souvenir, et de fiction faite immédiatement en réaction à  la suggestion est probablement très faible par rapport au pourcentage de représentations fiables. Il y a évidemment, une sorte de principe de précaution auquel j’adhère? : dans le doute, considérons le souvenir comme fantaisiste et non fiable. Mais cela ne signifie pas que la mémoire mente toujours, ni qu’il faille craindre de travailler dessus.

Une des conséquences a été le recul des méthodes de régression même par le courant «ericksonien» alors qu’Erickson a exploré, utilisé et promu les approches régressives toute sa vie.

Faire remonter la cause

Un autre conséquence de cette exagération a été le rejet de toutes les méthodes d’exploration traumatique.

C’est aussi le fait d’une autre exagération. à€ un problème donné, ou à  un comportement donné, il n’y a pas une seule et unique cause. Il y en a souvent un grand nombre, au passé, au présent, et au futur, à  l’intérieur de la personne et en dehors d’elle aussi. Et identifier une chose, une personne, ou un événement comme étant LA cause de notre problème, cela peut nous conforter dans une fausse solution.

Surtout que l’idée de cause en psychothérapie a souvent été réduite à  la question de l’origine. Or, l’origine d’un trauma n’est qu’une cause parmi d’autres.

Alors l’idée de «remonter à  la cause» a été jetée avec l’eau du bain. C’est plus compliqué que ça, donc on ne le fait plus du tout.

Mais ne soyons pas aussi extrêmes en dépit du bon sens. Il y a bien des cas où un événement peut-être identifié comme le déclencheur principal d’un trouble. Par exemple? : je suis tombé de vélo quand j’avais 8 ans. Avant, j’arrivais à  faire du vélo sans problème. Depuis cet événement, je n’arrive plus à  monter sur un vélo parce que j’ai une peur panique. Ici, on peut clairement identifier une origine au problème. Ce n’est pas la cause unique, certes, mais c’est l’évènement déclencheur principal qui porte tout la généalogie du trouble.

Pour résoudre cette phobie grâce à  l’hypnose, nul besoin de s’appuyer sur cet événement. On peut ne même pas en parler. Mais on peut aussi utiliser le souvenir de cette chute de vélo comme support pour mener la thérapie.

On peut, par exemple, en régression, me faire imaginer que je tombe de vélo, et que je ne fais pas mal. Ou bien qu’une personne arrive à  mon secours pour me rassurer. Ou bien que je remonte sur le vélo fièrement la semaine suivante.

Soyons clairs : à  mon réveil de l’hypnose, je saurais toujours faire la part entre ce qui s’est passé «vraiment» et ce qui n’a été qu’une expérience hypnotique. Cependant, de l’avoir vécu d’une bien meilleur façon dans l’hypnose, cela pourra probablement me permettre de dépasser ma phobie.

Or, même si on peut travailler sur ma phobie sans parler de cette chute de vélo, puisque j’arrive à  la séance en en parlant et que ce souvenir traumatique a l’air de me toucher particulièrement, pourquoi ne pas aller dans cette direction qui semble faire sens pour moi ?

Ramener la brébis égarée au troupeau

Tout cela est d’autant plus vrai dans le cas de troubles de type dissociatifs liés à  l’isolement (refoulement) dans la mémoire d’un événement traumatique. Etonnement, ces troubles qui peuvent s’avérer très gravement pathologiques, se traitent plutôt bien par l’hypnothérapie.

Comme une partie du vécu de la personne est littéralement mise de côté, cela peut entraîner qu’elle n’y ait pas accès dans sa mémoire à  un état ordinaire de conscience, ou bien partiellement, ou au contraire qu’elle y soit soumise de façon subie voire violente sous forme d’idée fixe, récurrente, d’obsession, de rumination ou de cauchemars. Le reste de sa personnalité ne peut pas faire son travail de réguler et digérer ce vécu qui est comme stocké sur une partition du disque dur, et tourne en boucle dans son coin entraînant toutes sortes de symptômes.

Il existe différentes méthodes pour ré-intégrer cette partie à  l’ensemble de la personnalité et ainsi dissoudre le trouble, et certaines de ces méthodes utilisent des phénomènes hypnotiques tels que l’hypermnésie ou encore la régression.

Affronter l’origine

Milton Erickson, psychiatre et grand connaisseur des grilles théoriques classiques de la psychologie de la personnalité, utilisait très souvent les outils de l’hypnose pour permettre l’intégration d’un contenu refoulé à  un niveau conscient, c’est-à -dire pour ramener la brebis égarée au sein du troupeau. Cela pouvait passer par l’insight, par l’écriture automatique, ou par d’autres méthodes. Il croyait même et affirmait que certains traumas ne pouvaient être dépassés autrement qu’en revivant l’évènement traumatique sous hypnose en une ou plusieurs fois.

Une fois de plus, on peut ne pas être d’accord avec lui. Mais sachant qu’il travaillait en psychiatrie sur des cas que la plupart des hypnothérapeutes n’ont pas vocation à  prendre en charge, on peut supposer que ses observations restent pertinentes dans certains cas malgré le décalage de l’époque.

Surtout si l’on se veut porteur d’une démarche pragmatique qui juge uniquement un outil à  l’aune de son efficacité, alors on se gardera bien de moraliser en disant? «tel outil n’est pas éthique» s’il permet d’obtenir un changement positif et ne cause pas de dégâts au passage.

Or, la démarche d’Erickson dans le cas de L’Homme de Février, par une approche qui semble complexe, mais qui en réalité ne demande que quatre séances pour traiter un cas lourd, consiste à  permettre à  la personne de se réapproprier un événement traumatique en favorisant son intégration à  un niveau conscient. Pour cela, il faut d’abord diminuer la peur. Et la démarche d’Erickson de venir «tenir la main» de son sujet aux différents stades de son expérience hypnotique, pour l’aider à  se sentir assez forte pour affronter son démon de l’intérieur et le vaincre, reste un exemple admirable dont on a beaucoup à  apprendre.

Conclusion

De tout ça, j’en conclurais qu’on doit lire L’Homme de Février comme tout autre livre : avec recul, esprit critique, esprit d’analyse et curiosité. Si Erickson est une mine, il ne suffit pas toujours de se baisser pour ramasser ses pépites les plus précieuses. Il faut souvent creuser et taper fort dans la matière repoussantes de ses cas en apparence désuets et peu éthiques pour découvrir que s’y cachent des apprentissages comme aucun manuel ni aucun séminaire n’en dispense actuellement. L’étude des textes est un apprentissage qui se mérite, et qui de fait distingue les praticiens en fonction de leur humilité et de leur courage, ce qui se ressent sur le terrain.

Mais si on attend de ce livre ce qu’il ne peut pas offrir : la facilité, une méthode simple et immédiatement applicable à  des séances d’hypnose courtes, des explications livrées sur un plateau, une lecture de plage, un ouvrage moderne, des discours bienveillants sur la posture thérapeutique, de la rigolade, de la provocation, du suspens, des envolées lyriques inspirantes, si c’est tout cela ou encore autre chose qu’on y recherche, on construit par avance sa promesse d’être déçu. Erickson n’y est pour rien. Il nous offre ici son travail. à€ nous de le prendre. Ou de le laisser.

Doit-on lire L’Homme de Février ?

Non. Ne le lisez pas ! La face du monde ne s’en trouvera sûrement pas changée. Il y a tant de livres à  lire ! Puis il y a tant de choses à  vivre !

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