Samedi 12 Octobre, l’école d’hypnose ericksonienne ARCHE organisait à Paris un colloque réunissant une vingtaine d’intervenants dans divers champs de spécialité. Beaucoup de choses ont été dites durant cette journée. Plusieurs thèmes récurrents en ressortaient : la peur, le trauma, le cerveau, l’apprentissage, le récit, l’attitude…
Et sans qu’on puisse dire qu’il fût commun aux diverses interventions, un thème est revenu à plusieurs reprises : la relation du soignant et du soigné.
Bien sûr, j’utilise volontairement ces mots, non pas dans le sens officiel d’une personne habilitée par le ministère à exercer une métier de soin, mais dans le sens plus général que nous offre la langue française d’une personne qui prend soin d’une autre, et réciproquement. Ainsi, peut-on considérer que la thématique du soignant et du soigné s’applique assez bien à la relation d’un parent à son enfant, d’un adulte à son parent âgé, d’un bénévole qui approche une personne à la rue, ou dans bien d’autres contextes où un humain entre volontairement dans une relation avec un autre humain dans le but de lui proposer un soutien, une aide, une écoute, bref, de prendre un peu, l’espace d’un instant ou dans la durée, soin de lui. Et bien sûr, cela s’applique a fortiori à ceux des professionnels de la santé qui prennent soin de leurs patients. (et seuls ces derniers sont légalement autorisés à se décrire comme soignants et à utiliser le terme de soin pour désigner leur activité professionnelle)
Laissez-moi vous évoquer quelques unes des paroles échangées à ce colloque sur le thème de la relation. Bien sûr, ce que j’ai compris ne correspond pas fidèlement à ce qui a été exprimé, car lorsqu’une personne en écoute une autre, deux s’expriment : l’un par sa voix, et l’autre par le sens intime que son vécu donne aux mots, et les associations imprévisibles qu’ils stimulent. Je mets donc mes mots sur des choses entendues, probablement très infidèle aux propos d’origine.
Le cinéaste Jan Kounen, avec une clarté et une précision remarquables, a décrit la relation du thérapeute traditionnel avec son patient, dans les sociétés amazoniennes du Pérou. Il s’agit d’une relation d’initiation : il lui offre de façon cadrée une expérience lui permettant de se confronter à ses peurs les plus essentielles et à les dépasser.
Cependant, il reste un soignant dans la mesure où les personnes le consultent lorsqu’elles souffrent. Si je me confronte moi-même à mes démons, mes peurs les plus terribles, à la nudité la plus pure de mon être, et à ma propre mort, probablement en retirerai-je plus de chaos encore que de mieux-être, car subjugué par l’ampleur de l’expérience, je pourrais me noyer dans la vague des émotions.
Le chaman, par ses chants, assure l’escalade de l’initié : il fractionne sa confrontation à la vérité de son être, en bouchées suffisamment petites pour être digestes. Mais encore, il n’hésite pas, pour le soulager, à lui voler sa douleur. Lui, parfaitement centré, capable de surfer les tsunamis les plus violents sans perdre l’équilibre, saura mieux que son patient se libérer, par un chant encore, de ce mal.
Guide-t-il son patient dans la thérapie ? Pas vraiment. Il lui ouvre la porte, notamment par l’administration de l’ayuhuasca, mais le laisse ensuite traverser le jardin de son expérience, lui offrant la main pour soutenir son équilibre, sans jamais passer devant lui.
Et c’est la même idée qu’a exprimé le psychothérapeute Thierry Janssen : le thérapeute propose une expérience qui est le champ pour le patient d’un apprentissage, mais il ne lui enseigne rien, et ne le dirige pas. Il est là pour lui. Une présence.
Janssen a également insisté sur le fait que le thérapeute se confronte à la peur de sa propre mort, l’apprivoise, pour ensuite pouvoir offrir cette expérience à l’autre. Et lorsque Janssen parle de la relation thérapeutique, il la décrit par la plus parlante des métaphores : elle est une danse, nous dit-il.
On danse ensemble, et non pas l’un remportant une victoire sur l’autre ; on danse en mouvement tout en gardant à chaque instant l’équilibre ; l’équilibre de l’un soutient l’autre ; il faut s’abandonner à la danse, et pourtant rester centré sur elle, sur l’autre, sur le mouvement, sur l’instant. On pourrait encore filer des kilomètres de cette métaphore au premier abord banale et en réalité d’une justesse édifiante.
Plus tôt dans la journée, le psychologue Daniel Goldshmidt a présenté le conflit qui existe, chez les spécialistes, entre les tenants d’une explication comportementale de l’hypnose, et ceux qui soutiennent qu’il s’agit d’une condition particulière de la conscience. Il n’est pas du tout sûr, en réalité, que les deux camps s’opposent.
Goldshmidt nous a offert une piste de réconciliation en exposant la théorie de l’hypnose comme phénomène social. Il ne s’agirait pas de considérer la bonne relation comme un plus à la pratique de l’hypnose, mais de considérer l’hypnose comme une évolution sociale de notre espèce. L’hypnose est une forme intense de mise en relation.
Au sens philosophique du terme, il n’y a qu’un pas jusqu’à assimiler l’hypnose à l’amour, ce qui serait même physiologiquement et psychologiquement loin d’être absurde.
Le professeur de management Philippe Gabillet a témoigné de la façon dont il enseignait l’hypnose à ses élèves, futurs chefs d’équipes dans des milieux clairement hostiles, afin que ceux-ci se présentent, pour leur collaborateurs, non pas comme de méchants chefs les motivant par la menace de représailles, mais comme de véritables piliers, capable de les rassurer, de les stimuler, de les renforcer.
Le chef est la ressource humaine la plus solide de l’entreprise, le bras paternel qui protège son engeance et lui apprend à trouver sa force. Le leader est celui qui a affronté et dépassé les pires dangers de son milieu, et en cela, peut accompagner les moins aguerris à travers ce même chemin épineux.
La similitude est frappante entre cette conception du leadership en entreprise et ce que Janssen et Kounen décrivent de l’initiation traditionnelle, et d’autant plus surprenante qu’elle est la structure commune d’une relation à travers des cultures que rien ne semble, de prime abord, rapprocher.
Martine Tual, kinésithérapeute, a également donné une illustration très claire de la relation thérapeutique qui consiste à offrir une présence beaucoup plus qu’une guidance. Elle a décrit comment, par de simples questions, stimulant l’accouchement par la personne de ses propres métaphores, de ses propres visualisations, le soigné parvient à effectuer de lui-même toute la partie mentale du soin. Jamais, dans cet exemple, ne lui propose-t-elle aucune piste venant d’elle. Elle se contente d’être présente, par ses questions.
Cette qualité de présence, récurrente durant ce colloque, a encore été louée par le thérapeute Yves Wauthier. Démontrant le pouvoir de la provocation en thérapie, il en révèle l’ingrédient principal, celui qui fait toute la recette : la bienveillance. On peut dire à l’autre les pires choses, le confronter brutalement aux réalités les plus crues : si tout cela est baigné dans le dévouement le plus complet à l’autre, dans la bienveillance la plus sincère, dans la présence la plus aimante, il n’en ressortira aucune vexation, aucune blessure, mais le sentiment d’être compris, une vision plus claire des choses, et par dessus tout, la possibilité de porter sur ses plus grandes peurs un regard plein d’un sens de l’humour retrouvé. D’une certaine façon, la thérapie provocatrice consiste à provoquer, par l’amour de l’autre, le rire.
Je ne peux malheureusement pas citer tous les intervenants du colloque et mon choix ici correspond à l’angle que j’ai voulu aborder. Je citerai probablement les autres dans d’autres billets, car il y a encore bien des convergences intéressantes qui ressortent de ce colloque. Mais j’aimerais terminer en relatant l’intervention de la psychologue Anne Chervet. Son expérience de soignante en gériatrie, elle l’a partagée à travers des témoignages touchants car ils concilient un professionnalisme qui ne repose pas sur le hasard des bonnes intentions mais sur une solide compréhension du grand âge, avec l’importance de ne jamais oublier que les soignés sont des personnes, et que le soin est une relation.
La synchronisation était à l’origine une technique de mise en relation de deux individus basée sur quelques éléments rythmiques comme la respiration. Puis, avec le temps, elle devenue une véritable idée de la relation par l’ouverture non seulement au rythme de l’autre, mais encore à ce qu’il est, à qui il est, à ce qu’il croit, à la façon dont il est dans le monde, ce qu’il en attend, à ce à quoi il attache de l’importance, etc…
La synchronisation est la danse, à de multiples niveaux. Et c’est cette façon de se connecter à l’autre, de s’ouvrir à lui, qu’Anne Chervet a apprise notamment en apprenant l’hypnose, et qui, comme elle en témoigne, a modifié totalement la pratique de son activité. Cette acceptation de l’humain qui se présente devant nous, est la clef d’une efficacité thérapeutique concrète qui se répercute dans les détails les plus importants du soin. La chaleur communiquée est déjà, pour l’âme, un pansement. Et certains médicament peuvent s’avérer moins nécessaires quand le malade, souvent apeuré, ressent l’apaisement d’une relation chaleureuse, profondément humaine, et qui le prend lui, dans toute son humanité.
Depuis, Anne Chervet enseigne aux soignants qu’elle forme, l’art de la synchronisation et ceux-ci témoignent du même enthousiasme quant à cet outil, car il est bien plus qu’un simple gadget ajoutant un peu de confort aux conditions de travail : il est l’essence du soin, le premier pas qui dessine le mouvement et fait entrer dans la danse.
Thierry Janssen, apportant une belle profondeur à cette journée déjà bien placée sous le signe de l’humain, insiste sur l’importance de ne pas considérer le thérapeute comme un acteur banal de la société. Son rôle n’est pas trivial, et il n’est pas un commerçant, un ouvrier comme un autre. Son rôle est sacré, nous dit Janssen, car il touche à ce qu’il y a de plus sacré. Le thérapeute l’est parce qu’il n’est pas une personne ordinaire : il est celui qui a apprivoisé ses peurs. Et il touche au sacré car il accompagne des humains à travers la vallée la plus profonde et la plus obscure de ce qui les constitue, peuplée des peurs les plus intimes, et jusqu’aux hauteurs d’une présence retrouvée.
A une échelle variable, il en est de même pour toute relation d’un soignant à un soigné. Tout relation d’un humain qui, pour de bonnes raisons, offre son épaule pour soutenir celui qui tombe sur le chemin, est d’une certaine façon une relation qui échappe au trivial et confine au sacré.