Article paru le 14/05/13 dans le webzine? Réalités hypnotiques
Le Monarque de l’Océan, 2ème Partie
Dans le précédent article, nous avons découvert comment le psychiatre américain Milton Erickson (1901-1980), à l’occasion d’une conférence qu’il donna lors d’un colloque médical sur le bateau de croisière Ocean Monarch, exposa une méthode redoutable afin de résoudre et d’éviter les résistances des sujets envers l’hypnothérapie, notamment à travers une approche essentiellement «utilisationniste».
Dans cette seconde partie, je vous propose de nous pencher sur les deux développements fondamentaux de l’hypnothérapie dans l’approche d’Erickson : le double niveau de suggestion conscient/inconscient ; et la permissivité. Or dans cette conférence, apparaît clairement le lien essentiel entre les différentes techniques de suggestion et les principes fondamentaux de l’attitude du psychothérapeute. Les techniques découlent de l’éthique. L’éthique s’exprime dans la moindre technique. La communication d’Erickson traduit un engagement profond. Et ses valeurs se reflètent jusque dans les tournures de ses phrases.
Esprit, es-tu là ?
Dés le début de sa conférence, Erickson annonce très clairement la couleur :
«J’aime considérer mes patients comme ayant un esprit conscient et un esprit inconscient ou subconscient. J’attends de l’un et de l’autre d’être présents ensemble dans la même personne et j’attends de l’un comme de l’autre qu’ils soient présents dans le bureau avec moi.»
Evidemment, toutes les composantes du patient l’accompagnent dans le cabinet du Dr Erickson, comme dans tout autre lieu. Il est inconcevable qu’une personne ait «oublié son esprit inconscient à la maison». Son cerveau est aux aguets, et à tous ses niveaux de perception. Il s’agit donc presque une boutade de la part du rigoureux psychiatre. Mais en disant cela, Erickson donne un conseil pratique à ses collègues : le psychothérapeute ne doit jamais oublier qu’il n’est pas seulement en face d’une personne qui l’écoute consciemment, mais encore d’une personne qui l’écoute à un niveau bien plus inconscient. Le patient reçoit sans en prendre conscience une grande quantité d’informations en provenance du thérapeute, de son ton de voix, de ses gestes, de son apparence, de la tournure de ses phrases, mais aussi de la décoration du cabinet, de la position des fauteuils et de n’importe quel autre détail, qui sont toutes susceptibles d’influencer son expérience.
Erickson nous invite à ne jamais oublier que nous communiquons en permanence beaucoup plus d’informations que nous pensons en communiquer. Dans une communication ordinaire, on peut se satisfaire de rester à la surface des choses et d’ignorer ce puissant dialogue inconscient qui se joue secrètement malgré nous. Mais un psychothérapeute se doit d’être toujours conscient de ce double jeu, et consciencieux dans son art de manier le dialogue.
Erickson résume ainsi :
«Lorsque que je parle à quelqu’un à un niveau conscient, j’attends de lui qu’il m’écoute à un niveau inconscient, aussi bien que conscient.»
Le primat de la suggestion sur l’état
Ainsi en apprenant le «langage de l’inconscient» qui permet de tenir au patient un double discours, maîtrisé et stratégique, on peut lui suggérer une idée non seulement intellectuellement mais encore au niveau plus profond où l’information a un réel impact et génère un réel changement.
Auparavant, dans la tradition médicale de la fin XIXème siècle et du début du XXème sicèle, on considérait que pour avoir un tel impact sur une personne ne souffrant pas d’hystérie, il était nécessaire d’induire un état particulier nommé hypnose, ou transe hypnotique, souvent obtenue par la fixation de l’attention, et la suggestion du sommeil. Avec le somnambulisme hypnotique, on croyait s’adresser directement à cette part de l’individu qui gère ses automatismes, ses réflexes, ses apprentissages archaïques, ses émotions, et les fondations de sa personnalité. Dans son état ordinaire, on pensait s’adresser à son intellect et à sa capacité de comprendre. En changeant l’état du patient de l’un à l’autre, on changeait, pour ainsi dire, d’interlocuteur.
Désormais, grâce au double sens de la suggestion indirecte, on adresse à l’intellect un certain message, tout en transmettant à la partie plus «profonde» un autre message. Il est possible d’obtenir les mêmes résultats thérapeutiques profonds sans altérer l’état de réceptivité de la personne.
Erickson n’abandonne pas pour autant, comme l’avait proposé Bernheim, la transe hypnotique, et bien au contraire, lui donne une place de choix dans sa thérapeutique. Cependant, comme Bernheim, il reconnaît que ça n’est pas la transe qui fait la psychothérapie, mais bien la communication, la suggestion, l’information. Le travail d’un psychothérapeute consiste à parler. Pas nécessairement beaucoup. Et pas nécessairement pour dire des choses brillantes. Mais parler d’une certaine façon qui soit «thérapeutique».
«Je n’accorde pas tellement d’importance à la profondeur de la transe dans laquelle le patient se trouve parce que je trouve qu’on peut accomplir une psychothérapie complète et profonde dans une transe légère aussi bien que dans une transe moyenne plus profonde. Il suffit juste de savoir comment parler au patient de façon à s’assurer des résultats thérapeutiques».
Mais justement, comment faire? ? Quelle est cette «façon de parler»? ?
Le primat de la forme sur le message
Ce qui compte plus que tout, nous apprend Erickson, ce n’est pas ce qu’on dit, mais la façon dont on le dit. Le patient sera souvent très attentif au contenu de ce qu’on lui raconte, mais oubliera de faire attention à la façon dont on lui présente les choses. Et c’est pourtant là , dans les nuances de la formulation, que réside l’essentiel d’une «façon de pensée» nouvelle qu’on lui présente et qu’il peut expérimenter.
Par exemple, si je souhaite qu’une personne se détende physiquement, je peux lui dire «Détendez vos épaules !». Ou bien je peux lui dire «Laissez vos épaules se détendre !». En apparence, ces deux phrases disent sensiblement la même chose. Pourtant, à bien y réfléchir, elles impliquent deux façons complètement différentes de faire les choses. Avec la première, le sujet doit faire quelque chose, c’est à lui d’être compétent pour cela et de faire cet effort. Avec la seconde, il n’a rien à faire, si ce n’est de ne pas empêcher ses épaules de se détendre toutes seules. La détente est alors le résultat de son accord, de son autorisation, mais pas de sa volonté, de sa compétence et de son effort. Il ne fait pas, il laisse les choses se faire.
Se détendre ou non, ça n’est pas cela qui fait l’hypnose (l’hypnose n’a pas de rapport avec la détente si on ne la suggère pas). Ce qui fait l’hypnose, c’est cette attitude particulière où on laisse notre propre automatisme se développer en tout facilité et en tout liberté. C’est un certain laisser faire, qu’on nomme «dissociation». C’est donc bien la façon de présenter les choses qui permet d’atteindre cette dissociation, et d’atteindre l’hypnose.
Je me souviens d’un jeune homme d’une trentaine d’année, Mickael, venu me voir pour un problème intime. Je passai vingt bonnes minutes d’induction pour lui faire développer une hypnose. Au lieu de cela, il se réfugiait derrière une forme de relaxation molle dans laquelle il simulait théâtralement ce qu’il croyait devoir être un comportement hypnotique. C’est une forme de résistance assez courante et qui peut tromper les hypnotiseurs débutants. Finalement, je lui ai posé une simple question : «Qu’est-ce que Mickael voudrait vraiment? ». J’ai tenté cette formulation à la troisième personne à tout hasard. Et à ma grande surprise, l’homme est devenu soudain rigide, cataleptique, ses yeux grand ouverts, le regard dans le vague, les pupilles dilatées. Il m’a répondu d’une voix presque mécanique «Mickael voudrait être un vrai homme !». S’en est suivi un petit entretien sur le même registre. Puis très naturellement, je lui ai expliqué comment entrer dans une transe plus profonde. La simple formulation de ma question, à la troisième personne, et en citant son prénom, présupposait toute une dissociation, une dépersonnalisation, qui a suffit à lui faire développer une transe somnambulique d’excellente qualité.
L’effleurement suggestif
La suggestion réside principalement dans la forme, dans la formulation, dans la nuance. Erickson insiste sur ce point en donnant l’exemple d’une suggestion non verbale très ordinaire en hypnothérapie : la lévitation du bras. L’objectif est de saisir la main d’une personne, de lui imprimer un mouvement ascendant (tout en la distrayant, par exemple, par la conversation), et de constater que le bras continue de monter par lui-même lorsqu’on le lâche, sans aucun effort conscient de la part du sujet. Alors, on peut lui faire remarquer ce mouvement automatique et involontaire, ce qui a pour effet une dissociation qui s’accompagne bien souvent d’un léger état d’hypnose. Cet état léger peut ensuite facilement être approfondi. Et cela avec peu de mots prononcés, voire aucun.
Une erreur fréquente, explique Erickson, consiste à saisir le bras de la personne avec force. Au moment de le lâcher, il est fort probable que le bras cède à la loi de gravité et tombe de tout son poids. En effet c’est ma force qui le soutenait, et lorsque je lui retire ce soutien, le bras, très relâché, tombe.
«Lorsque je soulève la main d’une personne, je le fais volontairement d’une façon très très gentille, de telle sorte que mon mouvement de soulever sa main ne soit que suggéré, et que mon mouvement pour qu’elle aille dans telle ou telle direction ne soit que suggéré. Et plus vous pouvez être doux en touchant le bras, quand vous le soulevez et induisez une catalepsie, et plus vous êtes efficaces.»
Et Erickson précise ce qu’il faut comprendre de cet exemple :
«L’hypnose est d’abord un état dans lequel il y a une réactivité (responsiveness) à des idées de toutes sortes. Et vous devez employer cette réactivité non pas en essayant de forcer, mais en essayant d’obtenir une réponse immédiate, et de l’obtenir par une participation du patient.»
Ne pas exiger? : autoriser? !
Pour rapporter ce sens de la nuance au domaine de la suggestion verbale, il ajoute :
«De la même façon, je n’aime pas cette manière de dire à un patient : «je veux que vous soyez fatigué et que vous ayez sommeil, de plus en plus.» C’est un effort pour imposer vos désirs au patient. C’est un effort pour le dominer. Il est bien préférable de suggérer qu’il «peut» se sentir fatiguer, et qu’il «peut» avoir sommeil, et qu’il «peut» entrer dans une transe hypnotique. Car il s’agit toujours de lui offrir la possibilité de réagir à une idée.»
Dans un contexte de communication thérapeutique, le patient est souvent bien disposé à faire ce que le thérapeute semble attendre de lui. Le thérapeute peut lui donner des ordres, il obéira bien souvent. Mais si, au lieu de cela, il lui donne des autorisations, le patient pourra librement se demander de quoi il a envie, et exercer son désir. Il pourra développer un désir d’entrer dans le jeu, un désir de partager, etc… Or, il est fondamental pour le thérapeute de capitaliser sur les désirs et les envies du patient. Le patient fait les choses non pas parce qu’il «doit» mais parce qu’il «veut». C’est la condition première de l’engagement thérapeutique.
La confiance sans danger
«Dire à un patient «Maintenant, dites moi tout !» est un ordre plutôt menaçant et même dangereux à donner. Vous voudrez plutôt que votre patient ait envie de vous dire ceci, envie de vous confier cela, de telle façon que lorsqu’il commence à vous raconter ceci et cela, il développe également un certain sens de la confiance».
En anglais, confiance se dit « confidence ». Au lieu de vous obéir, votre patient vous accepte comme son «confident», celui en qui il a assez confiance pour se sentir libre de raconter ceci ou cela.
Pensez à la manière polie de demander une chose : au lieu de dire «Asseyez-vous !», on est habitué à dire «Vous pouvez vous asseoir !». Le simple verbe «pouvoir» présuppose, que ça soit réellement le cas ou non, que vous aviez le désir de vous asseoir mais que vous ne vous l’autorisiez pas. Et en vous disant «vous pouvez vous asseoir !», je viens vous délivrer en vous autorisant à céder (enfin!) à votre envie. Bien sûr, vous pouvez vous y opposer. Mais il y a fort à parier que vous y serez moins enclin que si je vous ordonne tout bonnement de vous asseoir. Du reste, si vous me dites «Non, je préfère rester debout», je garderai la face : en effet, je n’ai pas été désobéi, mais simplement, je vous ai offert une possibilité de vous asseoir ou bien de rester debout et vous avez fait librement le choix de rester debout. Ainsi notre relation reste intacte et non affectée par ce refus. C’est pourquoi Erickson dit qu’un ordre est «dangereux». Dangereux pour la relation dans la communication : le moindre refus devient une insubordination et rompt tout la confiance future. Une simplement permission est «sans danger». La relation reste sauve quoi qu’il arrive.
Voilà toute l’essence de l’approche permissive d’Erickson : je n’ordonne pas à l’autre de faire, je l’autorise à faire. Et ceci à grand renfort de «vous pouvez…». C’est la nuance la plus fondamentale et à la fois la plus simple à appliquer.
Une fausse permissivité? ?
En réalité, cette permissivité est surtout adressée à la compréhension consciente du sujet. En effet, c’est consciemment qu’on a besoin de reconnaître notre liberté. Mais le fonctionnement de notre esprit à un niveau inconscient procède par associations et par orientation : il a besoin d’être guidé, dirigé. Et derrière ces choix libres se cachent en général des directions très fermes pour l’inconscient. Milton Erickson est permissif, mais d’une façon tout en même temps absolument directive. On pourrait bien penser que l’un est le contraire de l’autre et qu’être permissif et directif en même temps est une chose impossible, un paradoxe, un oxymore. Certes, si l’on pense la communication à un seul niveau : soit on dirige, soit on autorise. Mais si on comprend la communication à deux niveaux, il s’agit d’autoriser le conscient, et de diriger l’inconscient.
Par exemple, si j’écris : «Vous pouvez vous souvenir de la maison de votre enfance !». Je vous autorise, je vous y invite, mais rien ne vous y oblige. Vous pouvez bien me répondre «Non merci, je ne le souhaite pas». tout cela se passe au niveau de la raison, de la réflexion consciente. Mais à un niveau inconscient, que s’est-il passé? Au moment où vous avez lu «la maison de votre enfance», cette expression est venue réveiller en vous une synthèse de souvenirs, de sens, de sensations, et a orienté tant soit peu votre esprit vers cette pensée, vers la maison de votre enfance.
Que vous ayez ensuite refusé ou accepté consciemment cette orientation, elle a déjà commencé inconsciemment au moment où vous l’avez lue. Derrière le choix libre se trouve une information destinée à votre inconscient.
Une carte Joker pour inciter à jouer
Voici un exemple dans cette conférence de cette manipulation subtile :
«Je suggère au patient qu’il ne me dise jamais rien de plus que ce qu’il veut vraiment me dire. Je lui dit en général qu’il peut garder pour lui ce qu’il souhaite garder pour lui, et de bien s’assurer de le garder pour lui».
Là encore, en apparence, Erickson se montre bien gentil en autorisant son patient à lui cacher des choses. Mais qu’est-ce que cela présuppose? Qu’est-ce qu’Erickson lui dit en réalité? Il lui dit : «Il est possible qu’il y ait une chose que vous n’aurez pas envie de me dire», ce qui signifie également «La plupart des choses, vous aurez volontiers envie de me les raconter». Il lui dit «Vous pouvez garder une chose pour vous si vous le souhaitez», ce qui signifie également «Vous avez un joker, alors réfléchissez bien à ce que vous voudrez me cacher, parce que tout le reste, vous me le direz bien volontiers». Evidemment, dit comme cela, ce serait un peu gros, et pourtant, c’est bien l’idée qui est subtilement communiquée par d’Erickson à travers cette suggestion en apparence anodine et bienveillante. Il rassure la personne en lui offrant une liberté, mais l’incite par là -même à s’ouvrir.
Le dilemme
Il existe beaucoup de formes de cette permissivité directive, mais il n’est pas nécessaire de les distinguer de façon scientifique. Notons une des plus étudiées : celle qu’Alfred Binet appelait «le dilemme » («double-bind», en anglais).
Il s’agit d’offrir le choix entre deux (ou plus) façons de faire la même chose. Par exemple, si je dis à un enfant «Est-ce que tu veux prendre une aspirine », il va réfléchir à tout ce que signifie «prendre une aspirine», et à tout ce que signifie «ne pas prendre une aspirine», avec sa compréhension d’enfant. Et il y a des chances qu’il me réponde «Non, je ne veux pas !».
J’aurais bien mérité une telle réponse puisqu’elle découle légitimement de ma question.
Mais si je lui dis «Est-ce que tu préfères prendre ton aspirine dans un verre d’eau ou avaler un comprimé? » alors il réfléchira à ce que signifie pour lui «prendre l’aspirine dans un verre d’eau», et à ce que signifie pour lui «avaler un comprimé». Et il optera pour la moins désagréable des solutions.
Et dans un cas comme dans l’autre, j’aurai obtenu de lui qu’il prenne son aspirine. Bien sûr, il peut me dire «Ni l’un ni l’autre !», mais j’aurais tout de même largement augmenté mes chances de le diriger dans la bonne direction.
A un niveau conscient, je dis à l’enfant : «Choisis librement la façon de prendre ton aspirine». A un niveau inconscient, je lui dis «Tu prends ton aspirine».
L’importance d’être Conscient
Cette communication à deux niveaux est devenue la marque de fabrique de Milton Erickson. Il dit lui-même que dés la petite école, il jouait sur les niveaux de communication et semblait dire quelque chose à quelqu’un qui pouvait signifier autre chose pour une autre personne présente, et recouvrir encore un autre sens selon un autre angle. Et les exemples abondent dans ses travaux, de sorte qu’il est devenu un poncif d’expliquer le travail d’Erickson à travers cette «communication avec l’inconscient». Et ce poncif éculé est distordu jusqu’à des formes parfois inexactes.
Il n’est pas rare de voir cette méthode d’Erickson résumée à l’idée que ce qui compte vraiment, c’est ce qui se passe à un niveau inconscient. Or il est malheureusement trop rare de voir les commentateurs se référer directement aux travaux d’Erickson et découvrir ainsi qu’il insiste en permanence sur l’importance au moins aussi grande, dans la psychothérapie, de l’apprentissage conscient.
En bref, les choses ne se passent pas seulement dans un fond de notre cerveau, malgré nous et sans aucune participation de notre part. Mais bien au contraire, la thérapie est un processus par lequel on pense les choses, on prend des décisions, on comprend. On découvre de nouvelles façons de penser les choses et de les comprendre. On se positionne. Et tout cela en nos pures et entières âmes et consciences.
L’hypnose est une technique intimement liée à l’involontaire. Mais la psychothérapie, elle, sous ses diverses formes dont l’hypnothérapie, est un processus qui part d’une volonté consciente, qui se nourrit d’une motivation consciente, et qui aboutit à une satisfaction consciente. Sans parler de la réflexion, de la compréhension, du vécu, du souvenir, etc… Or il est fondamental, pour Erickson, de provoquer cette intégration consciente.
C’est une belle journée de Mars? !
Le Dr Erickson cite le cas d’Harvey qui souffre de ne pas arriver à écrire d’une façon claire et lisible. Le psychiatre l’entraîne à l’hypnose profonde pour un premier travail sur les traumatismes de son enfance*, puis décide d’utiliser cette capacité à la transe afin de l’aider à «débloquer» son écriture. Comment s’y prend-il? Certains supposeront qu’il le plonge en transe hypnotique profonde et que, directement entendu par son inconscient, il demande à celui-ci de débloquer totalement et définitivement son écriture et de faire que Harvey écrive désormais à la perfection. Mais s’il faisait une chose pareille, le pauvre homme pourrait avoir le sentiment que sa main écrit parfaitement, grâce à son thérapeute, et que lui n’y est pour rien. Or son problème, derrière l’écriture, est celui de la confiance dans sa capacité.
Alors Erickson, en transe profonde, ne lui demande qu’une chose: une fois réveillé, Harvey devra écrire clairement la phrase «C’est une belle journée de Mars».
Après avoir écrit cette simple phrase, Harvey saute de joie, crie sa fierté d’être capable d’écrire clairement. Il jubile. Cette jubilation, elle n’est pas «inconsciente», mais une émotion vive, très forte, et très nouvelle, un sens de l’accomplissement personnel, qu’il éprouve très consciemment. Et cette simple expérience lui est un petit apprentissage de rien du tout qui entraîne de nombreux changements.
Harvey cessa de se faire marcher sur les pieds par tous ses collègues. Son caractère s’affirma, il demanda une augmentation, un meilleur bureau, prit ses habitudes dans un restaurant moins modeste que celui qu’il fréquentait auparavant. Il arriva enfin à impressionner son collègue qui garait toujours sa voiture de sorte de bloquer celle d’Harvey qui n’osait rien lui dire. Les choses avaient changé, et plus jamais sa voiture ne fut bloquée. Erickson commente :
« Je pense qu’il aurait été une erreur de ma part de lui ordonner d’aller demander une augmentation ou de dire sa façon de pensée à ce type qui garait sa voiture d’une mauvaise façon “ parce que Harvey n’avait pas besoin qu’on lui dise quoi faire. En réalité, il avait besoin d’une motivation. Et c’est une chose très importante en psychothérapie et dans l’usage de l’hypnose : la motivation du patient à faire les choses. Non pas les choses que vous pensez qu’ils devraient faire, mais les choses que eux, comme personnes uniques, ont le sentiment qu’ils doivent vraiment faire.»
Le sens, pour Erickson, d’utiliser l’hypnose n’est pas d’aller «programmer à un niveau inconscient» une personne à accomplir tel ou tel comportement approprié. Cela consisterait à restreindre sa liberté et à en faire une machine docile. Non, chez Erickson, l’hypnose sert avant tout à programmer inconsciemment une expérience, un apprentissage, qui se produise à un niveau conscient, et qui libère un sentiment de pouvoir agir et une véritable motivation pour agir.
Tout ce que Harvey a accomplit, il peut être fier de l’avoir accompli lui-même et non pas parce qu’il aurait été «programmé» pour le faire.
Ne pas faire pour l’autre : lui montrer qu’il sait faire
Récemment, une personne est venue me consulter à mon cabinet pour une phobie de l’avion. Sa phobie l’empêchait même de consulter le site internet pour acheter les billets, car elle se plongeait alors dans l’anticipation du vol, ce qui provoquait une panique immédiate chez elle. Comme la moindre évocation du mot «avion» provoquait des réactions très négatives, je décidai de ne pas mentionner l’avion et d’utiliser cette panique si facilement mobilisable chez elle. Très sensible émotionnellement, je ne fus pas surpris de la voir entrer dans une transe hypnotique très profonde sur une simple suggestion. Alors qu’elle se trouvait dans cet état, je lui dis : «Je vais vous apprendre un tour, très facile et très intéressant. Vous allez apprendre à tromper votre propre cerveau et vous créer sur commande des peurs et des phobies. Vous n’aurez même plus besoin de regarder des films d’épouvante pour? vous amuser à avoir peur.»
J’ajoutai : «Il vous suffit de regarder vos mains, comme ça, de les faire trembler légèrement en répétant trois fois «j’ai peur de ceci…»».
Evidemment, cette technique n’était qu’une suggestion post-hypnotique et n’a aucune valeur en elle-même. Mais après l’avoir réveillée, je l’ai invitée à jouer à se créer des peurs, des phobies, sur des choses absurdes, comme une peur des stylos rouges, une peur des pieds de chaise métalliques, etc… Bien entendu, je lui ai également appris comment annuler ces peurs. Et ses réactions phobiques, bien que moins violentes que lorsqu’il s’agissait d’avion, était parfaitement sincère, quelque soit l’absurdité de leur objet.
La séance s’est déroulée comme cela et je l’ai renvoyée chez elle avec comme consigne de s’amuser une fois par jour à se créer une phobie ridicule pour se l’enlever ensuite. A la deuxième séance elle m’a dit en substance: «Désolée, je ne l’ai pas fait tous les jours. Par contre, le troisième jour, je me suis créé une phobie des voitures vert-pomme, et en l’enlevant, j’en ai profité pour enlever la phobie des avions. Du coup, j’ai pu prendre mon billet. J’ai peut-être un peu anticipé sur le travail d’aujourd’hui, non ».
S’en est suivie une longue discussion sur le thème du transport aérien, dans les conditions les plus détendues possibles. Sa phobie n’avait pas disparue d’elle-même : elle avait réussi à la supprimer. Et c’est une différence majeure en psychothérapie.
En gardant à l’esprit les exemples d’Erickson, j’ai donc pris ici le parti, non pas de la «guérir» de sa phobie (surtout pas!), mais de lui apprendre quelque chose. De lui apprendre à manipuler sa propre peur. Une fois cette leçon apprise et intégrée, c’est consciemment, volontairement, qu’elle a pris l’initiative d’appliquer cet apprentissage à son problème et de se débarrasser de sa phobie de l’avion.
Eloge de la simplicité
Si je lui ai appris à jouer avec sa peur, c’est que, plutôt que d’accabler une personne avec une «mission» qui la dépasse, il convient de lui enseigner une chose facile et accessible. Erickson précise 😕
«Vous devez commencer en général par des choses plutôt simples. Parce que les êtres humains sont essentiellement et fondamentalement des créatures simples. En conséquence, vous devez commencer simplement et laisser vos patients élaborer en accord avec les propres besoins de leur personnalité, et non en accord avec vos conceptions de ce qui est utile pour eux.»
La non-ingérence
Il ajoute immédiatement :
«Vous n’interférez que lorsqu’ils essaient de se détruire eux-mêmes».
Et voici le point central de la philosophie, si tant est qu’il y en ait une, d’Erickson : la «non-ingérence» thérapeutique. Le thérapeute ne guide pas le patient dans ce qu’il pense être bon pour lui. Le patient arrive avec tout le matériau et les plans du chantier : le thérapeute se contente de lui transmettre quelques outils et techniques qui lui permettront de construire lui-même sa propre existence.
à€ aucun moment le thérapeute ne donne de conseils personnels ou n’émet de jugements de valeurs. Sauf si la vie de la personne est en danger fin qui, dans l’engagement d’un médecin, justifie tous les moyens.
Désormais, cette neutralité bienveillante est devenue une posture fondamentale en psychothérapie. Mais à l’époque de Milton Erickson, les médecins bénéficiaient d’une autorité morale qui leur permettait sans encombre de faire intervenir leurs valeurs personnelles dans l’orientation de la thérapie. Cette neutralité était donc une forme de tolérance particulièrement audacieuse qui lui valut d’être admiré par des générations de thérapeutes à sa suite.
Une vraie permissivité ?
C’est par la vertu de cette non-ingérence qu’on peut dire que la méthode d’Erickson, qu’on a tout-à -l’heure pu désigner comme une forme de fausse liberté, de fausse permissivité en réalité très directive, est bel et bien une vraie permissivité. En effet, il ne s’agit pas d’enrayer un comportement négatif, mais d’ajouter une option. Si je fume pour me détendre, un hypnotiseur peut me dire «Tu ne fumeras plus !». Mais alors comment me détendrai-je ? Un hypnotiseur plus malin, dans la lignée du Dr Erickson m’enseignera une autre option, une autre façon de me détendre, bien plus efficace que celle qui consiste à fumer. Ainsi, j’aurai désormais le choix et pourrai par moi-même arrêter de fumer, librement, et en retirer tout le sentiment conscient d’un accomplissement personnel et de la fierté.
Laisser le temps au temps
Cette façon de ne pas forcer la personne dans ses projets, Erickson l’accompagne d’un conseil primordial : ne pas forcer la personne dans le temps de sa thérapie. Rien ne sert de courir, nous dit le psychiatre :
« Il existe une tendance trop fréquente pour l’opérateur à penser qu’il doit corriger le comportement immédiat du patient. On ne doit pas avoir une telle attitude. Votre attitude doit exprimer que le patient finira par tirer bénéfice de cela «un beau jour», un jour ou l’autre. Peut-être dans un jour, une semaine, un mois, six mois, en tout cas dans un délai raisonnable, mais pas maintenant. La tendance à corriger le comportement immédiat du patient doit vraiment être évitée parce que la patient a vraiment besoin de vous montrer ce comportement particulier.»
Cela va toujours dans le sens de ne pas négliger l’intégration consciente du changement. La thérapie n’est pas une réparation magique qui se fait à l’insu du patient dans ses propres profondeurs. C’est un processus de transformation dont il est à l’origine, auquel il assiste, auquel il participe, et qui dépend entièrement de sa bonne volonté et de sa motivation. Ainsi les changements obtenus sont mérités par le patient, il peut en retirer de la fierté, et se les approprier en leur donnant une vraie valeur, c’est-à -dire aussi en se battant pour ne pas les perdre. Si les choses sont trop faciles ou trop rapides, trop passives ou trop «inconscientes», l’expérience montre que ces changements ne sont pas «digérés» par le patient et ne trouvent pas une place stable et définitive dans sa personnalité. Ils sont comme une joyeuse parenthèse aussi vite refermée qu’on l’avait ouverte.
Une pédagogie de la fierté
Erickson revient à de nombreuses reprises durant cette conférence sur l’importance d’enseigner, en le donnant à vivre, le «sentiment d’accomplissement personnel» (self accomplishment). Et c’est ainsi sûrement qu’on pourrait résumer la démarche du psychiatre américain : l’hypnothérapie autorise le patient à s’accomplir et à s’en féliciter.
Il est difficile aujourd’hui de mesurer à quel point ce modèle de psychothérapie qui prône le fait d’acquérir une motivation à faire les choses à travers l’expérience concrète de son propre pouvoir de faire, contrastait radicalement avec la tendance, à la même époque, à une psychothérapie visant à résoudre un trouble passé par une recherche intellectuelle sur les racines du mal. Erickson nous éclaire sur cette question avec sa limpidité :
«En psychothérapie, on met trop l’accent sur le passé, et on néglige le fait que le patient doit vivre aujourd’hui et probablement anticiper demain».
La communication d’Erickson n’est pas une façon de tromper le conscient pour s’adresser à l’inconscient, mais de mettre l’un et l’autre dans une relation dynamique qui constitue l’essence de l’apprentissage, l’essence de la thérapie, l’essence de l’harmonie personnelle. Durant cette courte conférence, Erickson a livré encore bien des cas, bien des conseils, bien des explications parfaitement éclairants et d’une intelligence rare, qu’il nous est malheureusement impossible de tous citer et étudier ici.
A l’heure ou le nom de Milton Erickson est bien souvent détourné pour légitimer les commerces les plus divers, il est plus que jamais précieux de se plonger dans ses nombreuses contributions. Il est unique dans l’histoire de la psychothérapie de disposer d’un corpus aussi riche et novateur en ce qui concerne les techniques de l’hypnose et de la suggestion. Et quiconque s’intéresse de près ou de loin à la question de l’hypnose et de la psychothérapie ne saurait faire l’économie d’une rencontre à la source avec les travaux du Dr Erickson.
* voire article précédent «La résistance chez Erickson, Le Monarque de l’Océan, 1ère partie? »