Pour ceux qui ne le connaitraient pas encore, Derren Brown est un « show man » britannique qui s’est illustré à la télévision avec des émissions de « magie mentale » absolument étonnantes. Il mêle des techniques de psychologie, de manipulation, de suggestion, d’hypnose et de prestidigitation pour donner l’illusion de pouvoirs paranormaux. Bien souvent, au delà du simple divertissement, sa démarche est de montrer qu’on peut parfaitement, par de simples « trucs », accomplir des prouesses en apparence surnaturelles mais qui ne le sont pas en réalité. Sceptique engagé, il nous invite à nous émerveiller tout en questionnant notre propre crédulité et notre naïveté.
Derren Brown :
« J’ai commencé ma carrière en tant qu’hypnotiseur après avoir développé un intérêt dans cette technique alors que j’étais étudiant et, comme je n’avais pas très envie de gagner ma vie comme thérapeute ou de transformer des hommes adultes en danseuses de ballet, j’ai commencé à rechercher des façons plus créatives d’intégrer l’hypnose (ouverte ou invisible) (1) et les formes de suggestion à mon travail.
Je ne crois ni que l’hypnose ait quoique ce soit de magique, ni qu’elle puisse être entièrement élucidée en le ramenant à un simple jeu de rôle ou à une simulation.
Il me semble qu’on peut mieux comprendre l’hypnose en tant que processus par lequel le sujet s’autorise à devenir plus « ouvert » (responsive)1 à l’hypnotiseur, d’une façon très similaire à la réceptivité qu’on tend à manifester lorsqu’on se rend chez un médecin ou qu’on interagit avec une personne qui fait autorité. On adopte très rapidement les idées que nous transmettent ces personnes à un niveau qui n’est pas nécessairement conscient. C’est comme cela que les mots d’un médecin et son attitude peuvent avoir pour effet une guérison due au moins en partie à l’effet placebo, davantage qu’au principe actif du médicament prescrit. Et c’est aussi comme cela que nos goûts et notre avis sur une question peuvent se trouver influencés par l’opinion d’une personne dont on respecte l’autorité dans le domaine en question.
De même, il peut être utile de considérer l’hypnotiseur comme une personne d’autorité (2) parmi d’autres, et un « sujet réceptif» (responsive subject) (3) comme quelqu’un qui s’est autorisé à devenir très suggestible à son contact. Il me semble qu’il existe un trait de personnalité qu’on pourrait qualifier de « sensibilité à la suggestion » (responsivness) et que, en règle général, on possède ou non quand il s’agit de se faire hypnotiser. Ce n’est pas un trait figé, dans le sens qu’on peut très bien ne pas répondre favorablement à l’hypnose et pourtant être facilement « fasciné », obnubilé, perdu dans ses pensées (starry-eyed) (4), ou suggestible dans d’autres situations ou avec certaines personnes. Mais la réceptivité individuelle à l’hypnose semble être relativement fiable, et peut même être mesurée selon l’échelle d’Harvard.
Tester ou constater qu’une personne est un « bon sujet » pour l’hypnose ne signifie pas qu’on est capable de décrire ce qui se passe vraiment dans sa tête durant ce processus. Dans l’histoire, il y a eu beaucoup de débats et globalement deux écoles de pensée dominantes ont émergées : ceux qui ont vu l’hypnose comme étant un « état particulier » et ceux qui l’ont comprise comme une sorte de « jeu de rôle » et de comportement obéissant (compilant behaviour) (5). Par exemple, une personne sous hypnose hallucine un éléphant dans la pièce : un adepte de la « théorie de l’état » pourrait dire que l’hallucination a été provoquée par quelque chose de bien particulier qui s’est passé dans le cerveau du sujet ; tandis qu’un tenant du « comportement » dirait que le sujet a simplement joué le jeu pour satisfaire l’hypnotiseur. Et pour ne pas le décevoir, lorsque l’hypnotiseur lui demande après coup si ça n’était qu’un jeu entre eux, le sujet irait jusqu’à affirmer avec insistance que l’éléphant était bien réel.
Récemment, ces deux camps ont trouvé un terrain d’entente, et on explore actuellement une zone située à mi-chemin entre ses deux théories. Le consensus, et bien sûr le modèle auquel j’adhère, semble être le suivant : on ne peut rien faire faire à une personne sous hypnose qu’elle ne pourrait accomplir lorsqu’elle n’est pas hypnotisée. Lorsque nous sommes très motivés, nous pouvons parfois faire des choses extraordinaires que nous trouverions extrêmement difficiles, voire impossibles à mener à bien dans notre état « normal ». Un jour, un de mes amis a voulu me prouver qu’il n’est pas nécessaire d’être sous hypnose pour manger un oignon cru et trouver cela délicieux (un numéro classique d’hypnose de spectacle !). Il est allé jusqu’à mon frigo pour prendre un oignon cru qu’il a savouré avec délices. Motivé par son désir de me prouver qu’il avait raison, il était capable de faire cette chose qui aurait été largement inconfortable dans d’autres circonstances. Il a prouvé la force de son esprit, et après cela, celle de son haleine !
La douleur réagit bien à l’hypnose : vous avez peut-être entendu les récits de patients qu’on avait hypnotisés pour subir des opérations chirurgicales invasives sans anesthésie chimique. Cela peut sembler extraordinaire, puisqu’ils peuvent souvent répondre à des questions alors qu’on est en train de les charcuter sur la table d’opération. Néanmoins, une fois de plus, on retrouve ce phénomène dans la vraie vie : la douleur est très subjective et on n’a pas besoin d’hypnose pour arriver à en faire totalement abstraction. On peut se couper un doigt et ne sentir aucune douleur jusqu’à ce qu’on voit le doigt saigner. Ou, ce qui est très habituel chez les comédiens, lorsqu’ils posent un pied sur la scène, ils oublient une douleur qui les a pourtant embêté toute la journée.
Cependant, l’esprit d’un sujet très suggestible est une chose extraordinaire : dans « The Assassin», premier épisode de ma série « The Experiments », mon sujet hypnotisé, Chris, s’est allongé dans une baignoire pleine de glace avec joie, du moins jusqu’à ce que j’annule la suggestion. (voir la vidéo ici)