Les bons conseils, les mauvaises suggestions, et les dégâts de la pensée positive…

Rappel sur la suggestion

Précédemment, j’ai présenté à plusieurs reprises ce qu’est une suggestion. En bref, et dans le sens que nous allons retenir pour  cet article, une suggestion est une information (mot, phrase, idée, geste, image, etc…) qui tend à influencer une personne dans son jugement, son interprétation, sa perception et son action.

Si un ami m’envoie le sms suivant « est-ce que tu veux aller au cinéma ce soir ? », on ne peut pas dire que cette question soit très suggestive.

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Si, par contre, il m’écrit « qu’est-ce que tu dirais de te faire un bon petit film entre pote ? », alors il est évident qu’il pose la question de façon suggestive. Il suggère au passage l’idée que ce sera bien agréable afin d’influencer ma réflexion et d’augmenter les chances que j’accepte.
Si mon ami est devant moi et qu’il me demande « est-ce que tu veux aller au cinéma ce soir ? », en faisant un geste « oui » avec la tête, un grand sourire et des yeux suppliants, c’est son attitude qui rend la demande suggestive : on parle alors de suggestion non-verbale. Sa façon de me demander n’est pas neutre, elle tend à influencer ma réponse.

La suggestion est un phénomène formidable de la communication. Il existe de nombreuses formes de suggestions, de nombreuses façons d’utiliser les mots, les tournures de phrases, la voix, les gestes, les images, etc., qui permettent d’influencer une personne subtilement dans son jugement, son interprétation, sa perception des choses et de générer chez lui tout un comportement. Et tout le monde utilise quotidiennement la suggestion, même sans le savoir.

 

Le revers du bon conseil

Ce qui va nous intéresser particulièrement aujourd’hui, c’est précisément la façon dont on peut parfois dire ou croire quelque chose qu’on pense positif tandis qu’en réalité la façon dont on le formule, ou dont on se le formule contient une suggestion négative et parfois même très dangereuse.
Prenons un exemple simple : on entend parfois dire que « le bon sommeil, c’est le sommeil d’avant minuit ». Et je n’ai pas l’impression qu’il soit mal intentionné mon bon ami qui me dit « si tu veux être en forme, couche-toi avant minuit ». Et pourtant…
Qu’est-ce que cette simple phrase suggère ? Qu’est-ce qu’elle contient comme information tacite ? Tout simplement, que le sommeil d’après minuit est un « mauvais sommeil » et que si je me couche après minuit, je ne serai pas en forme. Et si je prends un peu trop au sérieux son conseil, chaque fois que pour une raison ou pour une autre je ne pourrai pas me coucher avant minuit, je commencerai à penser « Zut, je vais encore mal dormir et être fatigué demain ». Et en me mettant ça dans la tête, je me fais une auto-suggestion bien malheureuse et qui risque de ne pas m’aider à bien me reposer.
Si mon ami m’avait dit simplement « tu sais, le sommeil avant minuit est encore plus réparateur, alors si tu veux être encore plus en forme, je te conseille de te coucher avant minuit ». La suggestion réside souvent dans la nuance. En formulant les choses ainsi, il aurait suggéré que le sommeil est de toute façon quelque chose qui « répare », qu’il n’y a pas de mauvais sommeil. Si je me couche après minuit, c’est bien. Si je me couche avant minuit, c’est encore mieux ! Dans tous les cas, je peux être en forme et reposé. Alors, lorsque je n’ai pas l’occasion de me coucher avant minuit, je peux dire « tant pis, ce n’est pas grave, je vais quand même bien me reposer ». Et cette auto-suggestion a des chances de m’aider à trouver un repos bien plus facile.
Il en va de même pour toutes sortes de bons conseils très ordinaires.
Lorsqu’on tente de dissuader une personne de fumer en lui disant « Tu sais, quand on fume une fois, on est fumeur à vie. C’est irréversible, on ne redevient pas non-fumeur, on devient au mieux un ancien fumeur en sursis. » En disant ça, on prend un risque énorme : si la personne se met malgré tout à fumer, ce conseil qui, au départ, était pour son bien, pour le prévenir, le dissuader, devient pour lui une vraie prison.
C’est faux : une personne qui a été fumeur pendant très longtemps peut devenir absolument et définitivement non-fumeur, et on en connaît tous. Mais si on a la croyance que ça n’est possible, cela devient très difficile d’arrêter.
Lorsqu’on dit à une personne : « pour te relaxer, installe-toi dans une salle très silencieuse ». On crée le risque que le moindre bruit la dérange puisqu’il viendra l’empêcher d’être dans une salle silencieuse, donc l’empêcher de se relaxer.
Si on lui dit « tu auras encore plus de facilité à te relaxer dans une salle silencieuse, mais même au milieu d’un concert de marteaux-piqueurs, tu peux changer ta respiration et te détendre », à ce moment là, la personne n’est pas limitée et peut se relaxer dans n’importe quelle circonstance. D’autant que par effet de contraste, les petits bruits inopportuns seront bien peu de chose par rapport à un concert de marteaux-piqueurs.

Tout simplement, le fait de se réjouir du beau temps : le fait même d’être heureux et réjoui, dynamique et optimiste lorsque le soleil brille va souvent de pair dans nos esprits avec le fait d’être déçu et triste, mou et pessimiste lorsqu’il pleut. De la même façon, il est bon de manger cinq fruits et légumes par jour, comme dit le slogan. Mais on peut très bien passer une journée merveilleuse en en ayant mangé que trois.

L’aspirateur sans sac 

Ce principe, je l’appelle « l’aspirateur sans sac ». En effet, dans les publicités, on vous présente des aspirateurs qui ont l’ « avantage de ne même plus avoir besoin de sacs ». En apparence, c’est une bonne chose. Et pourtant, le revers de la médaille, c’est qu’on se retrouve avec un bac à poussière pas toujours facile à vider et à nettoyer surtout en cas d’humidité. Le sac à poussière est facile à changer et assez propre et pas nécessairement une invention devenue ringarde comme le présentent les publicités. De la même façon, ce qui semble positif en apparence peut contenir un revers négatif. Et ce qui semble négatif ne l’est pas toujours autant qu’on le pense.

Fromage ET dessert

C’est un dilemme : affirmer un bien, c’est affirmer un mal. Et la solution à ce dilemme se situe dans la suggestion « utilisationniste » : tous les cas de figures amènent à ma conclusion.
Au lieu de dire, « A est positif », ce qui sous-entend que « B est négatif » (B est le contraire de A), je dis « A est encore plus positif que B ». Il s’agit d’une forme de conjonction paradoxale, « double bind » en anglais.

Le secret de la névrose 

Une illustration édifiante de ce principe est à trouver dans les idéologies de la « pensée créatrice ».
Beaucoup d’idéologues parfois sectaires, parfois moins, assènent comme une vérité leur hypothèse que notre pensée, toute seule, peut avoir le pouvoir de créer la réalité, ou tout au moins de l’influencer.
Ainsi, si je pense que je serai en bonne santé toute ma vie, j’augmente mes chances d’être en bonne santé dans l’avenir. Jusque là, rien de bien méchant. Mais qu’est-ce que cela suggère ? Que si je pense à la maladie, j’augmente mes chances de tomber malade. Rien ne prouve rationnellement cela et au contraire des études ont mis en évidence la fonction simulatrice du cerveau qui permet d’imaginer des choses afin de ne pas avoir à les vivre.

Il n’empêche que ce type d’idées fait de grands dégâts. On se met à avoir peur de sa propre pensée : j’ai peur de penser à la maladie parce que j’ai peur que ça me rende malade, j’ai peur de penser à la mort, parce que j’ai peur que ça ne la fasse venir.
C’est l’expression moderne des tabous et superstitions qui existent depuis bien longtemps : dans beaucoup de cultures, il est très mal vu de parler de malheurs, de la mort, ou de la maladie, et il existe souvent des rituels permettant d’enlever le pouvoir de ces mots (comme toucher du bois, etc…)
De façon moins macabre, on conseille de plus en plus souvent de visualiser ses objectifs atteints, comme de visualiser son futur succès, etc… Et on accuse bien souvent le fait d’avoir « pensé son échec » d’être coupable de nous avoir fait échouer. Là encore, on retrouve ces mêmes raccourcis très dangereux. En plus de la peur de l’échec qui empêche beaucoup de personnes d’agir, on ajoute une « peur de penser à l’échec ». Or, le constat est que n’importe quelle personne raisonnable qui fait quelque chose de risqué a tendance à envisager la situation dans laquelle sa tentative ne réussirait pas.
Si donc, on conseille plutôt à une personne de « ne pas avoir peur d’imaginer le pire, puis, également de bien prendre du plaisir à imaginer le meilleur », on se retrouve face à une suggestion bien plus constructive : ça n’est pas ta pensée qui fait tout, mais elle te permet d’étudier toutes les options pour ensuite faire au mieux et avoir le plus de chances de réussir ».

Le grand retour du refoulé 

Avoir peur de sa propre pensée est une chose assez dangereuse puisque les idées tendent à surgir à la conscience par associations de façon souvent difficilement contrôlable. De plus, quand on cherche à « ne pas penser à quelque chose », c’est souvent là qu’on le plus de mal à le chasser de notre esprit.
Heureusement, peu de gens en arrivent à avoir peur de leur propre pensée au point d’en développer une vraie phobie de la pensée négative. Et pourtant, on observe ce symptôme de façon croissante notamment chez les personnes ayant adhéré à une idéologie de la pensée positive de façon assidue.

Et dans certains cas, cette phobie du négatif peut amener à des pathologies psychiatriques lorsqu’elle se combine avec d’autres peurs. En effet, la peur d’avoir des hallucinations, comme il s’agit d’une pensée, amène une peur de la peur d’avoir des hallucinations, qui se traduit parfois par le développement d’hallucinations hystériques comme on aurait dit à une autre époque, c’est-à-dire d’origine psychique. Ou encore, la peur de la perte de contrôle, comme elle est une pensée, amène à une peur de la peur de la perte de contrôle (si je pense à la « perte de contrôle », je vais commencer à ne plus me contrôler) qui parfois justifie des symptômes de comportements incontrôlés.
Or notre cerveau est fait pour nous autoriser à imaginer ce qui nous fait le plus peur sans pour autant craindre que cela ne le provoque. Si j’ai peur de perdre le contrôle de moi, c’est justement en imagination que je peux franchement affronter cette peur : je m’imagine la pire des situations dans laquelle je pourrais perdre le contrôle de moi. Je ne dis pas que cette pensée soit très agréable, mais je peux y penser, sans pour autant que ça ne le « programme » dans mon cerveau. Bien au contraire, ça tendrait à le « décharger ».

Thérapeutes bisounours

On rencontre une forme de cette phobie du négatif chez certains thérapeutes formés à la « formulation positive ». Dans certains courants de la communication thérapeutique, on enseigne (à tort) que la compréhension inconsciente des mots chez une personne ne prend pas en compte les négations et ainsi qu’il faut veiller, pour avoir un impact positif à ce que chaque mot soit positif. Ainsi, ces thérapeutes ne diront pas « vous avez un problème », mais « vous n’avez pas encore la solution ». Jusque là, cette formulation semble en effet suggestivement plus intéressante.
Le problème arrive quand cette idée est prise tellement au sérieux que certains thérapeutes pensent par exemple que le mot « peur » ne doit pas être prononcé si on ne veut pas « créer » de la peur.
N’importe qui peut faire l’expérience chez lui : répétez 300 fois le mot « peur ». Avez-vous peur ? Non ? En effet, le mot « peur » ne fait pas peur. Comme le mot « mort » ne tue pas. Le mot « maladie » n’est pas une maladie. Le mot « manger » ne fait pas grossir. Etc… Bien au contraire, il existe un phénomène appelé la saturation mentale : si on répète beaucoup un même mot, il sonne « étrangement » et semble perdre son sens. Plus un mot est répété et plus il devient anodin.
De la même façon, ces mêmes thérapeutes sont formés à reformuler votre propre façon de dire les choses pour lui donner une tournure positive. Si vous dites « j’aimerai me débarrasser de ma phobie des souris », ils vous répondront de telle sorte que le mot « phobie » n’apparaisse pas. « Vous aimeriez pouvoir vous sentir à l’aise devant une souris ». Le problème, c’est que ça n’est pas ce que vous avez dit, et que parfois ça tourne à l’acrobatie linguistique.

« J’aimerais arrêter de fumer.
– Vous aimeriez pouvoir vous sentir libre de vos comportements?
– Euh… en fait, j’aimerais arrêter de fumer dans un premier temps. »

Le thérapeute qui se comporte excessivement en évitant le négatif communique à son patient très fortement l’information que les mots négatifs sont à éviter et à fuir. Ce qui revient à dire que les mots négatifs sont déjà des choses négatives. Ce qui revient à dire qu’il faut se méfier des mots. En bref, le patient se retrouve en face d’une personne incapable d’appeler un chat un chat parce qu’il a peur des mots. Et la dernière chose que le patient veut, c’est de se retrouver en fasse d’une personne qui a peur de parler de son problème.

C’est l’effet Aspirateur sans sac : les mots positifs créent un monde positif. Oh, quelle belle pensée ! Et bien non, car cela signifie que les mots négatifs ne sont pas « que des mots », mais qu’ils créent déjà un monde négatif. Ce qui est faux.

Certes le mot « bonheur » incite plus au bonheur que le mot malheur. Il est plus agréable à prononcer ou à penser. Et pourtant, cela ne signifie pas qu’on puisse devenir malheureux juste parce qu’on dit ou pense le mot « malheur ». Sauf à avoir une telle croyance.

Voilà comment on utilise quotidiennement, sur soi comme sur les autres, des formes de suggestions que l’ont pense parfois gentilles et innocentes et qui peuvent entraîner des croyances très enfermantes, voire délétères.

On a tendance à penser que les personnes qui prônent l’optimisme, la gentillesse, la santé, le succès, etc. font du bien au monde. Parfois, ils amènent avec eux bien plus de malheur que ceux qui s’autorisent et nous autorisent à ne pas être toujours parfaits, impeccables, souriants et perpétuellement positifs.

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