L’écriture automatique : mon cerveau en colocation ?

[fusion_builder_container hundred_percent=”yes” overflow=”visible”][fusion_builder_row][fusion_builder_column type=”1_1″ background_position=”left top” background_color=”” border_size=”” border_color=”” border_style=”solid” spacing=”yes” background_image=”” background_repeat=”no-repeat” padding=”” margin_top=”0px” margin_bottom=”0px” class=”” id=”” animation_type=”” animation_speed=”0.3″ animation_direction=”left” hide_on_mobile=”no” center_content=”no” min_height=”none”]
Dr Thomas Hamilton et Mrs Poole lors d’une séance d’écriture en transe.

 
Le principe de l’écriture automatique est bien connu. Il s’agit d’un processus d’écriture où non seulement le choix des mots n’est pas conscient mais l’action physique du corps qui forme ou tape les lettres est perçue comme involontaire, voire incontrôlable. Nous ne parlerons pas ici de la prétendue écriture automatique qui consiste simplement à écrire n’importe quoi “au hasard”, à laisser les mots venir, pour voir ce qui sort de notre “pure spontanéité. Bien que cette écriture spontanée puisse aboutir à une authentique surprise quant aux choix des mots et des phrases, et puisse être un exercice enrichissant, elle ne peut pas être dite automatique d’un strict point de vue expérimental.
Une expérience simple : écrivez un mot au hasard au crayon sur une feuille.
Cela paraît simplissime. Vous avez fait une seule chose, n’est-ce pas ? Et vous pensez avoir le plein contrôle de vous-même lorsque vous la faite, n’est-ce pas ? En réalité cela mobilise une grande quantité de neurones chargés de tâches très diverses et qui, par chance, travaillent pour la plupart sans nous demander notre avis. En gros, parmi ces tâches, on peut citer :

  • décider du mot à écrire (certainement la partie la plus difficile pour beaucoup d’entre nous). En réalité, la décision est prise dans le cerveau avant qu’on ait l’impression (l’illusion) de le décider. Pourtant, choisir finalement celui-ci, et renoncer aux autres est parfois si difficile, surtout devant un menu de restaurant…
  • retrouver une image mentale correspondant à l’orthographe du mot
  • voir la position de la feuille
  • ressentir + voir la position de la main
  • commander aux bons muscles d’opérer le bon degré de contraction pour à la fois, serrer correctement le crayon, placer la main au bon endroit au-dessus de la feuille, maintenir la tète tournée vers ce qu’il y a à voir,  etc…
  • diriger les yeux vers l’endroit précis de l’action, accommoder,  et réduire le champ de l’attention à la tâche en cours
  • descendre le crayon et l’appuyer sur la feuille avec exactement la bonne pression pour écrire sans casser la mine
  • bouger la main sans trembler dans différentes directions afin de tracer des barres et des ronds qui forment des lettres. Selon les personnes, lier les lettres entre elles où relever un peu le crayon pour reprendre une lettre à un autre endroit. Pour un changement de mot, lever le crayon et déplacer légèrement la main, ni trop ni trop peu.
  • Revenir compléter avec des accents, des barres aux T et des points sur les I si nécessaire.
  • Vérifier, par les yeux, que l’image obtenue permette de reconnaître le mot écrit. Et vérifier par la même occasion que l’orthographe est conforme à l’orthographe de référence dans la mémoire (cette fonction n’est pas très bien entraînée chez toutes les personnes… )

Tout cela, nous le faisons automatiquement. Vers 5-6 ans, il nous a fallu l’apprendre. Mais désormais, c’est chose relativement aisée, et nous n’avons heureusement pas à penser à chacun de ces aspects, et encore moins à contrôler les stimulations nerveuses, échanges thermiques, approvisionnement des muscles en oxygène, et autres (ré)actions qui se produisent dans le corps pour cette simple action.
Ajoutons que, lorsque nous exécutons cette simple expérience, il y a encore des parties de notre cerveau qui s’occupent de :

  • nous faire reconnaître que c’est bien nous qui sommes à l’auteur de cette action et nous donner l’illusion que c’est bien sous notre contrôle que tout cela c’est fait.
  • Enregistrer cette expérience dans la mémoire à court terme, voire dans d’autres types de mémoire
  • inscrire cette action dans une continuité de souvenir qui forgent notre expérience propre afin que nous percevions ce qui se passe comme un événement de notre existence.
  • Etc… (toutes tâches qui contribuent à ce qu’on appelle la conscience : identité, continuité, ego, contrôle, discernement, auto-évaluation, proprioception, etc…)

Il y a plusieurs domaines où l’on parle d’écriture automatique : la littérature, le spiritisme, l’hypnose, etc…

 En spiritisme, par exemple, l’expérience de l’écriture n’est pas reconnue par le sujet comme provenant de sa propre décision, mais son attente et sa croyance sont si fortes (j’assume ici une position sceptique) qu’il se convainc que sa main agit comme « possédée » par une autre conscience que la sienne. Cette simple conviction suffit à activer un système différent de référence qui fait appelle à un autre modèle d’écriture, et toutes les parties du cerveau qui le peuvent concourent à offrir à cette personne une expérience la plus convaincante possible de ce qu’elle désire si chèrement vivre. C’est une des caractéristiques du cerveau de faire son possible pour que la réalité ne déçoive pas l’attente et la croyance personnelle, développant pour cela des biais de confirmation, la mauvaise foi, l’amnésie, les faux-souvenirs, des illusions, des hallucinations, etc… Votre cerveau vous fait voir autant qu’il le peut ce que vous voulez voir, quitte à vous mentir. Éviter la déception, et la frustration d’un ego construit pendant des années sur un système de croyance est une des tâche de survie du cerveau : il nous protège contre la déception d’avoir tort. Sauf à accepter d’avoir tort (ce que l’on pense tous faire, n’est-ce pas?) Bref, si vous pensez très fortement qu’en faisant ceci, cela, etc., l’esprit d’Einstein, qui, avec Beethoven, ne trouve jamais de repos dans les milieux spirites, vous possédera et écrira à travers votre main, et que pour vous cette expérience représentera quelque chose de très important, il semble possible pour votre cerveau de le simuler de bonne foi à un très fort degré, vous faisant même oublier d’où viennent toutes les informations que le cerveau utilise pour cela, oubliant cette émission qu’on a vu sur Einstein à la télévision, et son écriture sur un bout de papier dans un musée des sciences, etc…

En littérature, l’écriture automatique est le phénomène courant d’un auteur qui passe tellement de temps à répéter cette action d’inventer un récit et de le transcrire immédiatement par écrit que son corps peut continuer cette action tant de fois répétée sans avoir recours à sa conscience, ni même au contrôle comme le fait de regarder ce qu’on écrit. Ainsi vous avez des écrivains qui, dans des états seconds, peuvent laisser leur conscience de coté, les yeux fermés ou révulsés, ou le regard hagard, et avoir sincèrement l’impression que leurs mains écrivent « toutes seules ». De la décision du mot à l’exécution de l’action, tout se fait normalement, mais le contrôle conscient et le sentiment d’être l’auteur de la décision ne sont plus nécessaires et sont laissés de coté, comme désactivés. Pour autant, je n’aurai pas forcément l’impression qu’une « autre conscience », l’esprit de quelqu’un d’autre est l’auteur du texte à ma place. Je peux très bien me dire que c’est « une partie de moi » qui a écrit ce texte, ou simplement « moi, mais de façon automatique ». (Merci Okham pour ce coup de rasoir)

La différence entre l’écriture automatique du spirite et celle de l’écrivain se résume à une question : est-ce que le contenu du texte me semble émaner d’une intelligence et d’une personnalité éloignée de la mienne, ou simplement une version plus intuitive de ce que j’aurais peut-être pu écrire avec un peu plus de travail et d’entraînement ?

En hypnose, les cas d’écriture automatique spontanée ou induite dans un cadre expérimental sont décrits depuis le XVIIIe siècle (Puységur, etc…), c’est-à-dire depuis les débuts de l’hypnose moderne et associé au somnambulisme provoqué. Il s’agit, comme en littérature, d’une écriture qui se fait absolument normalement, à la différence que la personne n’a pas le sentiment que la décision du mot et de la phrase vient d’elle. Le problème de l’induction de l’hypnose fait que, parfois la dissociation hypnotique n’est pas assez complète pour retrouver toutes les autres caractéristiques de l’écriture. Alors il faut souvent ré-entrainer la « main » de la personne afin que celle-ci écrive de façon lisible. Et les caractéristiques de la transe hypnotique font que l’expérience peut parfois s’accompagner d’une perte totale ou partielle des sensations dans la main, si bien que, si on place une planche sous son menton, la personne peut ignorer totalement que sa main est en train de bouger et d’écrire un mot. Peu importent ces modalités à condition que la personne soit authentiquement surprise de découvrir le mot qui s’écrit au moment où elle le lit. On peut l’autoriser à le lire au fur et à mesure, mais alors, à chaque lettre, en général écrite lentement et laborieusement, la personne s’efforcera de deviner le mot avant la fin, ce qui interrompt parfois l’écriture de la fin du mot. On peut aussi cacher ou demander à la personne de fermer les yeux, ce qui fait reposer la reconnaisse du mot uniquement sur les sensations de la main, s’il en reste, et qui ne permet pas toujours de deviner le mot écrit. Sans voir, la difficulté est de passer à la ligne et de ne pas réécrire sur des mots déjà écrits. Le risque du pâté littéraire est grand !
En état de dissociation totale ou transe somnambulique, la question est différente. La personne se trouve pleinement éveillée dans une conscience seconde. Elle peut écrire et « savoir » ce qu’elle écrit et reconnaître qu’elle a décidé d’écrire cela et même expliquer pourquoi et en débattre, etc… Mais à son réveil, la personne dans son état premier lira le mot comme si une autre personne l’avait écrit et en découvrira le contenu.

Mais dans tous les cas la question reste la même, que nous avons évoquée précédemment : est-ce que la « partie de moi » qui a écrit à mon insu n’est qu’une version de moi, peut-être libérée de certaines contraintes liées à mes doutes et à mes questionnements conscients, ou est-ce que cette partie, qui exprime un contenu réellement surprenant, est une personne très différente de moi, dont la personnalité, le savoir, les souvenirs, et les idées différent des miennes et qui « vit dans ma tête », dort quand je suis éveillé et se réveille quand on m’endort, et habite certaines parties de mon cerveau qui me sont inaccessibles, comme un parasite ou un colocataire discret ?

L’expérience de l’écriture automatique en hypnose fait apparaître beaucoup de degrés de différence :

  1. Parfois, la main n’écrit que des mots entendus, saisis aux hasard sur l’instant, ou des mots en relation directe avec le contexte, ou bien continue un mouvement simple, etc… Dans ces cas, nous avons à faire à un simple automatisme, tellement familier qu’il peut se faire sans conscience, sans intelligence, mais incapable de créer un contenu original. Il s’agit juste d’un mouvement, qui, comme c’est souvent le cas en hypnose, est perçu comme « se faisant par lui-même » ou répondant à une demande de l’hypnotiseur, ou à une stimulation particulière. Un mouvement bête…
  2. Parfois, à partir de ce simple geste automatique, on peut obtenir des réponses à des questions différentes de celles qu’apporte la personne à l’état d’éveil, souvent plus honnêtes, moins voilées, parfois même très franches, des souvenirs non accessibles à la personne consciemment, etc… Le cerveau, pour répondre utilise avec plus ou moins de talent les apprentissages du langage comme la grammaire, la métaphore, pour exprimer des réponses qui semblent libérer des informations que la personne cache aux autres ou à elle-même. La personnalité est encore celle de la personne, mais dans un mode désinhibé, libéré de certaines contraintes sociales et ayant un meilleur accès à certaines informations personnelles. C’est cette écriture automatique qui est principalement utilisée dans l’hypnose thérapeutique non psychiatrique, ainsi que pour les démarches non thérapeutiques de connaissance de soi, ou pour un usage pédagogique de l’hypnose.
  3. Parfois l’écriture, par ses réponses ou par ce qu’elle écrit spontanément, semble sélectionner des informations imitant une personnalité vraiment seconde. L’écriture peut être différente, le vocabulaire, les pensées, les souvenirs peuvent être différents, la façon de comprendre les choses et d’interpréter les situations radicalement différente, l’intelligence et les compétences peuvent être très différentes, le caractère, etc… Parfois, la personnalité seconde organisée dans cette action peut même parler de la personnalité habituelle  à la troisième personne et se présenter sous un autre nom. Un truc en vous parle de vous comme si vous n’étiez pas là ou encore s’adresse à vous. Mieux vaut y être préparé. Tout cela évidemment se produit dans le cadre de l’expérience sans pour autant que la personne ne souffre de dédoublement spontané et pathologique de la personnalité et sans que ça ne se développe dans l’avenir. De plus, l’hypnotiseur fait bien en sorte que ça ne soit pas ses suggestions qui aient induit un tel dédoublement. La personnalité seconde, lorsqu’on l’interroge semble coexister depuis longtemps avec la personnalité première. Et on peut découvrir comme cela plusieurs personnalités pouvant se saisir de l’écriture. Une personnalité seconde peut faire preuve d’une sensibilité différente, de goûts, de sentiment et d’émotions différents. Et si on suggère à la personne que c’est telle autre personne qu’elle connaît assez qui écrit à travers sa main, tout se passe comme si son cerveau peut mobiliser un maximum de données et de calculs pour simuler le mieux possible une réponse probable de cette personne. La dimension de jeu de rôle de l’inconscient semble être une des caractéristiques principales de l’hypnose. En tout cas, c’est mon intime conviction. Et c’est ce qui fait que je ne peux pas voir le spiritisme comme autre chose qu’un phénomène naturel de psychologie déguisé. Un jeu de rôle qui ne se dit réalité. La simulation des phénomènes du cerveau par l’hypnotisme est un outil précieux de l’approche sceptique en psychologie.

Entre ces différentes degrés, il en existe beaucoup d’autres qui sont des intermédiaires ou des façons différentes pour l’écriture automatique de se développer. Ces degrés et ces variantes sont souvent le résultat de variations dans les suggestions, la méthode d’induction de l’hypnose, les attentes et les croyances des sujets et parfois des hypnotiseurs eux-mêmes. En hypnose, on veillera souvent à orienter les suggestions de façon que l’expérience soit vécue avec juste ce qu’il faut de dissociation pour ne pas faire surgir des dédoublements qui n’existent pas.

Depuis un siècle et demi que les hypnotiseurs observent ces données expérimentales et travaillent avec, la question se pose toujours de savoir ce qu’elles nous apprennent : qu’est-ce que l’inconscient ? N’est-il qu’une machine à réflexe qui continue automatiquement ce que nous avons déjà l’habitude de faire ? Est-il une version primaire, animale, non inhibée de nous-même ? Est-il multiple ou unique ? L’inconscient est-il en fait une autre conscience ? Le cerveau a-t-il le pouvoir d’organiser nos souvenirs, nos perceptions, nos pensées et notre caractère pour adopter à loisir d’autres personnalités complètes ? C’est que questionne les phénomènes de possession ainsi que les pathologies du dédoublement de personnalité. C’est ce que questionne également l’hypnose, à travers l’écriture automatique notamment, mais aussi le dédoublement totale qu’est la transe somnambulique, et autres phénomènes de dissociation du langage.

Tachons simplement de ne pas considérer les questions sans réponse comme une opportunité d’affirmer les explications les plus créatives et les plus farfelues sur la base de rien. Continuons de les questionner par la pratique ou de façon expérimentale en veillant à ne pas perdre notre sens critique et la rationalité qui fait l’intelligence de notre siècle.

Sommes-nous « plusieurs dans notre tête » ou un cerveau flexible capable d’incarner des rôles mieux que le meilleur acteur de théâtre du monde ? N’est-ce pas simplement qu’on vit selon un regard, sans pour autant perdre cette capacité à voir le monde sous d’autres angles ?

[/fusion_builder_column][/fusion_builder_row][/fusion_builder_container]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut