Hypnose et manipulation ?

Manipulation… 

Le mot est lâché, comme un taureau dans les rues de Pampelune. Et comme lui, il fait peur à certains et fascine littéralement les autres.

Parmi tous ceux qui nous demandent presque quotidiennement si l’hypnose permet de manipuler les esprits, il y a fort à parier qu’un grand nombre serait paradoxalement déçu qu’on réponde “Non, l’hypnose n’est pas un outil de manipulation”.

Réponse malhonnête qui plus est. Mais qui eut son heure de mode. On comprend que la question est en fait : “Peut-on asservir, assujettir une personne par l’hypnose ? ”
Et classiquement on entend résonner la réponse rassurante : “Non, on ne peut pas faire faire quelque chose à une personne hypnotisée qui ne serait pas parfaitement acceptable pour elle”. Voilà le type de loi, sortie d’on ne sait quel chapeau de communicant, qu’on a pu entendre répétée sans discernement pendant quelques décennies.
Cependant, des contraintes comme la pression sociale, ou l’autorité de l’hypnotiseur, peuvent pousser la personne à aller au-delà de son désir. On le voit lorsqu’un volontaire, lors d’un spectacle d’hypnose, n’ose pas refuser d’enchaîner des numéros n’ayant pas tous pour objet de le montrer devant la foule sous un angle avantageux, et parfois même lui procurant un profond malaise. Cela n’a rien à voir avec l’hypnose bien sûr. C’est simplement un manque de tact ou d’éthique. Une mauvaise personne peut nuire à une autre vulnérable.Bien sûr, c’est faux. On peut faire faire à quelqu’un, avec ou sans hypnose, quelque chose qu’il ne lui serait pas parfaitement profitable. A la faveur d’un moment de confusion, et en étant assez habile et convaincant, par exemple. Mais l’hypnose n’ajoute rien. L’hypnose potentialise l’expérience que le sujet aimerait, en son for intérieur, s’autoriser à vivre. Comme d’autres ivresses d’ailleurs.
On entend parfois parler de “viol sous hypnose”. C’est absurde. Il existe malheureusement des agresseurs dans beaucoup de professions et là encore, ça n’a aucun rapport avec le fait que ce criminel prétende pratiquer l’hypnose. Au contraire, en hypnose, un individu d’ordinaire influençable aura une tendance à moins se laisser contraindre. On entre en hypnose par confiance. Et si ce contrat de confiance vient à rompre, on en sort aussi sec.
En outre, l’hypnose se crée sous l’effet de la suggestion, qui consiste à activer des processus subconscient chez l’individu. Il ne s’agit surtout pas de lui ramollir le cerveau pour mieux l’enfumer comme peuvent le faire certaines émissions de télévision. C’est tout le contraire. On ne prend pas le contrôle sur l’autre, on l’invite à éprouver sa propre puissance.
On pourrait donc avancer qu’il est plus difficile de nuire à une personne lorsqu’elle est hypnotisée. Si vous souhaitez influencer quelqu’un, un conseil : ne l’hypnotisez pas ! Usez de rhétorique et de divertissements.

Qu’est-ce que la manipulation ? 

Aux modes succèdent souvent des contre-modes. Et dans ce domaine plus qu’ailleurs. Pour se démarquer du traditionnel rapprochement entre l’hypnose et le sommeil, beaucoup d’hypnotiseurs trouvent malin d’asséner que “l’hypnose n’a rien à voir avec le sommeil”. Et par une même volonté d’être iconoclastes et un tantinet provocateurs, nombreux sont ceux qui préfèrent maintenant assumer le mot “manipulation”, tout en préservant la bien-pensance en ajoutant que c’est une manipulation “positive”. On prend souvent l’exemple d’un professeur qui manipulerait son élève, mais dans une perspective “positive”. Outre que ces jeux de mots ne veulent absolument rien dire, ils ne sont pas exacts et se noient dans le moralisme qui devait les sauver.

Si on faire l’effort de sortir, l’espace d’un instant, de cette vision manichéenne qui tente de distinguer une “bonne manipulation” d’une “mauvaise manipulation”, il est bien plus intéressant de comprendre ce que signifie l’acte même de manipuler, pour savoir si oui ou non, et dans quels cas l’hypnose est une manipulation, ou ne l’est pas. Et une manipulation de quoi ou qui en vue de quoi.
Manipuler, au premier degré, c’est jouer d’un objet à l’aide de sa main, le rendant “outil” dans une action concrète. Dans un sens plus large, manipuler signifie donc utiliser. On manipule quelque chose (ou quelqu’un) pour en faire l’outil d’une action qui vise une autre fin.
Le sculpteur manipule une masse et un burin pour donner une forme à la pierre. L’ouvrier manipule une pelleteuse pour extraire des gravats. L’écrivain manipule un ordinateur pour écrire un texte. Le chauffeur manipule sa voiture pour le conduire quelque part. Le cuisinier manipule une poêle pour cuire les aliments. Et il manipule les aliments pour enchanter les convives. L’idée de manipuler est synonyme de l’idée de “se servir de”. Avec en plus, la nuance d’un “tour de main” plus ou moins maîtrisé, d’une habileté. Pour gribouiller, il faut utiliser un crayon. Pour croquer un portrait réaliste, il faut encore savoir manipuler ce crayon avec assez de précision. Manipuler, c’est donc se servir de quelque chose avec une habileté particulière. La manipulation est le rapport de l’artisan à son outil.

Manipuler quoi ? 

Que manipule le professeur pour enseigner ? Il manipule des outils pédagogiques, il manipule les mots, il manipule des idées, il manipule des manuels, des ordinateurs. Il manipule les capacités cérébrales de l’enfant. Mais on ne peut pas dire qu’il “manipule l’enfant”. L’enfant est le récipiendaire de son acte et non pas l’outil.

Si un professeur envoie un enfant demander à un collègue, dans une autre classe, de lui prêter un feutre, alors on peut dire que l’enfant est utilisé. Toutefois, comme il n’y a pas d’habileté dans cette demande, on sent à quel point il serait abusif de parler de “manipulation”. Le professeur met alors l’enfant à son service, ou lui demande un service. S’il le fait d’une manière habile, on pourra dire que le professeur aura manipulé le langage pour commander ce service. Et s’il lui “retourne la tête” en quelque sorte, pour obtenir que l’enfant lui rende ce service sans pouvoir même le lui refuser, ni s’y opposer, on peut alors dire que le professeur ici manipule cet enfant comme un simple outil, sans libre arbitre ni conscience, réduit à une fonction passive dans la poigne ferme de l’artisan. Dans ce cas, peut-être pourra-t-on s’autoriser à parler de manipulation. Est-ce qu’elle est “négative” ? c’est encore une autre affaire.

L’hypnose est-elle une manipulation ?

Elle peut l’être. Si l’hypnotiseur se sert habilement de la personne hypnotisée pour obtenir d’elle, par la suggestion hypnotique, qu’elle lui rende tel ou tel service. Or, rares sont les contextes d’hypnose dans lesquels on peut imaginer qu’une personne accepte de faire quelque chose qui ne lui soit visiblement pas destiné. Mais ils existent : un hypnotiseur de spectacle utilise les volontaires pour épater son public. Ils lui rendent service, et en ce sens, strictement parlant, l’hypnose est le procédé par lequel l’hypnotiseur manipule, avec une expertise qui lui appartient, ses outils de travail que sont les volontaires. Le volontaire se met au service de l’artiste, devient son outil, et attend de lui qu’il le manipule avec habileté et finesse pour créer le spectacle.

Et en hypnothérapie ?

Dans un contexte où l’hypnose est utilisée en tête à tête pour répondre à la demande du sujet, par exemple en hypnothérapie, il en va tout autrement. Bien sûr, on pourrait dire que l’hypnotiseur se sert du sujet pour gagner sa vie, pour payer son loyer, etc… Mais ce serait pousser le raisonnement à l’absurde, ce qui ridiculiserait non seulement l’argument mais celui qui le tiendrait par la même occasion. Cela mettrait en évidence la complexité socio-anthropologique de l’acte professionnel de l’aide, et montrerait à quel point il serait intéressant de sortir de la présente caricature pour affiner la réflexion. Mais cela empêcherait aussi la réflexion d’avancer. Evitons de tomber dans ce piège. Nous avons besoin de grandes lignes claires ; précises, certes, mais qui ne s’émoussent pas dans la complexité.

Si une personne vient me consulter à mon cabinet, elle exprime une demande. Elle me “commande” une aide, en quelque sorte. Pour lui livrer ce service, je vais manipuler les mots, des gestes et des mécanismes physiologiques et psychologiques afin de permettre que quelque chose se produise. Ces outils de suggestion hypnotique, je vais les manier avec une habileté apprise, une expertise qui fait que je ne me contente pas de les utiliser : je les manipule.
Mais à aucun moment, je n’utilise la personne pour un autre but. A aucun moment, je ne manipule l’autre tel une pelleteuse, un ordinateur, une poêle ou un marteau. L’autre est celui qui reçoit le résultat. Il est le commanditaire de l’ouvrage, et son destinataire. Et il collabore évidemment activement au processus de création du résultat.

Qui manipule qui ?

Paradoxalement, quand j’hypnotise quelqu’un dans le cadre d’une consultation en cabinet, c’est lui qui m’utilise. En effet, je ne représente pas grand chose pour cette personne, je ne suis qu’un outil. Pour transformer son comportement, ou son émotion, ou autre chose encore en lui, il a besoin d’un burin, d’une pelleteuse en la personne d’un suggestionneur professionnel.

Il se sert donc de moi, et m’abandonne une fois le résultat atteint. Et c’est ainsi que la relation d’aide se produit le plus sainement qui soit. Toutefois, comme le client n’a pas d’autre expertise pour m’utiliser que le règlement de consultation, on peut bien dire qu’il se sert de moi, qu’il fait appel à mon service, mais il manque une habileté particulière pour qu’on puisse dire qu’il me “manipule”. Ce serait jouer sur les mots. Bien que dans certains cas, il arrive que les personnes qui viennent nous consulter parviennent bel et bien à nous manipuler. Mais comme le contexte de “qui sert qui” est clair et officiel, il n’ont pas souvent besoin d’obtenir ce service d’une manière subtile.

Bilan : 

L’hypnose est-elle une manipulation ?

Oui, une manipulation, qu’on peut souhaiter la plus habile possible, des mots, des idées, des mécanismes psychologiques et physiologiques, de techniques bien précises. Une manipulation de la suggestion en grande partie.

Peut-on manipuler quelqu’un grâce à l’hypnose ?

C’est probablement une des plus mauvaises façons de manipuler quelqu’un.

Un hypnotiseur manipule-t-il ses sujets ?

Dans certains contextes où le sujet n’est pas le but final mais un acteur du processus, comme dans un spectacle. Mais dans les cas où le sujet demande à être hypnotisé, et que l’hypnotiseur lui offre ou lui vend son service, c’est bien au contraire l’hypnotiseur qui est utilisé. Et pour son plus grand plaisir.

A quel moment est-ce qu’un usage de l’hypnose est moralement bon ou mauvais ?

Ce n’est pas à moi de dicter à qui que ce soit ce qui est moralement bon ou mauvais en la matière. Nombreux sont les prédicateurs improvisés, les censeurs, les moralistes, prêts à se scandaliser pour un rien, et se croyant dans une croisade sacrée au nom d’un Bien commun faussement laïc, mais qui tire en réalité tous ses précepts d’une bigotterie bien ancrée. Je ne crois pas vraiment à ces tribunaux de la bien-pensance.

Conclusion :  

  •  L’hypnose est une pratique. Elle est constituée de divers outils qu’il faut apprendre à manipuler avec précision.
  • L’hypnose elle-même peut-être mise au service d’un but (soigner, aider, comprendre, divertir, expliquer, enseigner…). Alors cette pratique devient elle-même un moyen en vue d’une fin, un outil. Et un outil très puissant si l’artisan qui le manipule est bien formé, expert, patient et minutieux.
  • Entre de mauvaises mains, c’est un outil décevant, faible, et inefficace. Entre de bonnes mains, vous profiterez pleinement des merveilleux résultats qu’il permet d’obtenir.
Si vous souhaitez utiliser l’hypnose pour vous aider, il est normal que vous souhaitiez être rassuré : prenez contact avec l’hypnotiseur lui-même, et demandez-vous s’il vous inspire confiance, s’il semble être un bon artisan. Posez-lui toutes les questions qui vous viennent. Puis lancez-vous !
 
 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut