Erickson : l’état post-hypnotique et son utilisation, 2ème partie

ericksonComme nous l’avons déjà  évoqué dans la première partie, le fait qu’une prestation post-hypnotique soit accompagnée (partiellement ou totalement) d’un état de transe hypnotique et qu’une interférence dans cette prestation suffise à  provoquer l’émergence d’une transe profonde n’est pas seulement une curiosité de la psychologie mais un phénomène qui présente de multiples utilités et laisse entrevoir de multiples applications. En 1941, le couple Erickson constatait déjà  que cette transe post-hypnotique permettait entre autres :

  • «l’élaboration de critères objectifs pour les états de transe et les conditions de transe,
  • l’entraînement des sujets à  développer des transes plus profondes,
  • l’obtention directe de divers phénomènes hypnotiques sans passer par le processus d’induction de transe.
  • De plus, la transe post-hypnotique se rapporte au problème général de la dissociation,
  • aux divers problèmes des phénomènes hypnotiques individuels, tels que le rapport hypnotique, l’amnésie, les souvenirs sélectifs, la catalepsie et les états dissociés,
  • et aux implications générales des phénomènes post-hypnotiques sur le plan expérimental et thérapeutique.»

A. La TPH comme preuve de l’hypnose

Tout d’abord, Erickson insiste sur la valeur de la transe spontanée comme «preuve» de la transe d’origine. En clair, lorsqu’il y a vraiment besoin de savoir si un sujet a été hypnotisé ou a simplement simulé avec une complaisance involontaire les comportements qui étaient attendus de lui, il suffirait de lui proposer une suggestion post-hypnotique puis d’observer si l’exécution de celle-ci passe par une phrase de réorientation vers la transe et si les interférences plongent bel-et-bien le sujet dans un abyme de stupeur hypnotique. Si l’exécution se fait sans transe, il y a fort à  parier que l’instruction a été donnée à  un sujet qui n’était pas dans une transe satisfaisante.
Cette idée pose question, cependant, dans le cadre expérimental ou pédagogique, ou lors de démonstrations, ou lors de spectacles d’hypnose, ou pour trancher les discussions entre hypnotiseurs, ce type de preuve de la transe par la suggestion post-hypnotique s’avère redoutablement efficace et même nécessaire pour la cartographie IRM de la transe.
Erickson ajoute? :

«Apparemment, la transe post-hypnotique est un phénomène séquentiel? ; elle se fonde sur la transe originale et constitue en réalité une reviviscence des éléments hypnotiques de cette transe.»

On perçoit évidemment l’importance de cette remarque pour une utilisation thérapeutique de la transe post-hypnotique. Par exemple, si lors d’une transe hypnotique particulièrement active et dynamique, je suggère l’exécution d’une tâche automatique par le sujet juste avant de s’endormir, dans le but d’exploiter la transe qui accompagnera la tâche, j’ai des chances d’induire malheureusement un type de transe dynamique au moment du sommeil, sauf si la tâche consiste précisément à  se détendre et à  s’endormir, ou comprend ces comportements.

Erickson précise justement que la formulation de la suggestion post-hypnotique peut comprendre des suggestions impliquant une transe post-hypnotique différente de la transe d’origine. C’est notamment un léger flou introduit dans l’instruction qui empêchera la reproduction exacte de la transe tandis qu’une formulation extrêmement précise impliquera souvent une réminiscence fidèle. Inutile de préciser ici cet aspect technique et très spécifique de formulation des suggestions.
Notons seulement qu’il est l’occasion pour Erickson de rappeler qu’ «on ne devrait jamais supposer que le sujet comprend les instructions de la même façon que l’hypnotiste. Pas plus qu’on ne devrait supposer qu’une même formulation doive nécessairement véhiculer le même sens pour des sujets différents.»
Erickson fait reposer ce principe de test sur :

«l’incapacité à  développer une transe spontanée lors de l’exécution apparente de la suggestion post-hypnotique chez des sujets qui,

  • soit manifestaient de la complaisance,
  • soit étaient trop empressés à  croire qu’ils étaient en transe,
  • soit avaient réussi, pour diverses raisons, à  simuler un état hypnotique.»
Et également sur ces personnes qui :

«vont réellement aller dans une transe hypnotique profonde mais qui, pour des raisons qui leur sont propres,

  • semblent incapables de réaliser le fait qu’elles ont été hypnotisées
  • ou ne peuvent se l’avouer,
  • et refusent donc de croire qu’elles sont ou ont été hypnotisées.”
Ces sujets développent toujours une transe spontanée à  l’exécution des suggestions hypnotiques, un événement qui en lui-même constitue souvent un moyen efficace pour corriger leur état d’esprit et leurs croyances erronées.»? Ce que certains appellent aujourd’hui, un «convincer», ou un recadrage.
La transe post-hypnotique permet donc de repérer les simulations, même quand le sujet se trompe lui-même, de confirmer la transe aux sceptiques, et d’autres preuves encore.

B. La TPH comme méthode rapide d’induction d’un somnambulisme hypnotique

L’utilisation la plus intéressante de la transe post-hypnotique n’est sûrement pas son rôle de test. Pour introduire d’autres utilisations, Erickson rapporte un exemple charmant que j’aimerais citer ici? :

«Une enfant de cinq ans, qui n’avait jamais assisté à  une transe hypnotique fut reçue seule par l’hypnotiste? (je rappelle que c’est ainsi qu’Erickson se désigne lui-même). Elle fut installée sur une chaise et il lui répéta à  maintes reprises de «dormir» et de «dormir très profondément», tout en tenant sa poupée préférée. Elle ne reçut aucune autre sorte de suggestion jusqu’à  ce qu’elle fut apparemment profondément endormie pour quelques temps. Ensuite, il lui dit, comme suggestion post-hypnotique, qu’un autre jour l’hypnotiste lui poserait des questions à  propos de sa poupée, après quoi elle devrait
(a) la placer sur une chaise,
(b) s’asseoir à  coté d’elle, et
(c) attendre que la poupée s’endorme.
Après avoir répété plusieurs fois ces instructions, il lui dit de se réveiller et de continuer à  jouer. Il eut recours à  cette triple suggestion post-hypnotique puisque y obéir amènerait progressivement le sujet dans une attitude essentiellement statique. Le troisième volet, en particulier, exigeait une forme de réponse passive et prolongée qui nécessiterait la persistance de la transe post-hypnotique spontanée.

Quelques jour plus tard, alors qu’elle jouait, il l’interrogea l’air de rien sur sa poupée. Elle sortit la poupée de son berceau, la montra fièrement et expliqua alors que la poupée était fatiguée et voulait dormir, et tout en parlant, elle l’installa, sur la chaise et s’assit tranquillement à  coté d’elle pour la regarder. Elle donna bientôt l’impression d’être dans un état de transe, alors que ses yeux étaient encore ouverts. Quand l’hypnotiste lui demanda ce qu’elle faisait, elle répondit? : «j’attends», et elle hocha affirmativement la tête quand il lui dit d’un ton insistant? : «Reste juste comme tu es et continue à  attendre.» Il fit alors des tests, tout en évitant ce qui pourrait provoquer une manifestation qui ne serait qu’une réaction à  une quelconque suggestion hypnotique involontaire? ; il retrouva une large variété de phénomènes typiques de la transe induite de manière habituelle».
La fillette faisait montre d’une catalepsie générale l’empêchant de bouger de sa position initiale. Elle développa également des hallucinations visuelles positives (on a enlevé la poupée et elle continue de la surveiller comme si de rien n’était). De même, elle ne réagissait qu’aux stimuli provenant de l’hypnotiseur et ne semblait pas percevoir les autres personnes ni réagir à  ce qu’ils faisaient. Par la suite, elle démontra une amnésie totale de la transe et reprit la conversation là  où elle avait bifurqué sur la transe spontanée comme si de rien n’était.”

Rappelons qu’en 1941, cette «astuce» pour induire une transe somnambulique directement à  partir d’un sommeil hypnotique sans passer par le développement progressif de tous les comportements du somnambulisme constituait une véritable innovation. Aujourd’hui, elle fait ou devrait faire partie des méthodes couramment utilisées pour l’induction de la transe hypnotique somnambulique. La seule différence est que les hypnotiseurs ont beaucoup plus rarement qu’à  l’époque recours au somnambulisme hypnotique, et rarement le temps d’entraîner les sujets à  une profondeur satisfaisante.
Cet exemple illustre ce que nous avons déjà  abordé dans le premier article : la transe post-hypnotique est une méthode express d’entraînement à  l’hypnose? :

«On reconnaît en général l’importance de répéter des inductions de transe pour obtenir des états hypnotiques plus profonds, mais la prestation post-hypnotique et la transe qui l’accompagne permettent d’atteindre cet objectif de façon plus satisfaisante et plus facile. Il en est surtout ainsi parce que la prestation post-hypnotique fournit l’occasion d’obtenir rapidement un état de transe, sans que les sujets s’y attendent et n’aient l’occasion de s’y préparer ni d’adapter de quelque manière leur comportement»

Pour Erickson, c’est donc l’alternative à  la suggestion, et notamment à  l’entraînement laborieux par la suggestion d’une dissociation par rapport aux schémas de comportement de l’état d’éveil.

C. La TPH en thérapie

«En situation thérapeutique, l’utilisation de la transe post-hypnotique spontanée possède des mérites particuliers pour la psychothérapie hypnotique, puisqu’elle évite le développement des résistances et rend le patient particulièrement sensible aux suggestions thérapeutiques. De plus, l’amnésie qui suit cette transe spontanée est moins facilement rompue par le désir du patient de se souvenir des suggestions qu’il a reçues comme c’est si souvent le cas dans les transes induites. Il y a donc moins de risque que le patient conteste la psychothérapie dispensée. De plus, la transe post-hypnotique spontanée permet de combiner facilement la thérapie à  l’état vigile et à  l’état hypnotique, ce qui est souvent absolument essentiel pour obtenir de bons résultats.»

No comment !

D. La TPH comme dissociation réelle? ; perspective et problèmes

Dans la suite de l’article, Erickson explique en quoi la transe post-hypnotique est une dissociation, c’est-à -dire bel et bien une transe. Dans la plupart des cas, l’action programmée ne s’intègre pas à  ce que le sujet est en train de faire à  l’état d’éveil. Le sujet s’interrompt, change d’attitude et de comportement, exécute sa tâche avec ou sans interférence, puis reprend le fil de son activité, avec une amnésie totale de l’interruption.
Pour Erickson, cette dissociation ouvre de grandes perspectives expérimentales. Pour ma part, j’aimerais souligner que c’est précisément cela que trop d’hypnotiseurs semblent négliger quand ils «s’amusent» à  programmer des comportements (internes ou externes) à  des sujets aussi bien en hypnose de spectacle qu’en hypnothérapie. Ces comportements automatiques ne vont pas s’ajouter au comportement normal de la personne mais interférer avec lui.
Par exemple, si je demande à  un sujet, lorsqu’il parle en public, d’adopter une attitude de parfaite conviction et de parfaite aisance à  chaque fois que son regard croisera celui de telle ou telle personne, je prend le risque que l’exécution de ce changement programmé entraîne une réminiscence de la transe d’origine, une rupture du fil de comportement et des trous de mémoire chez le sujet.
Ou encore, si je suggère “Après cette séance, dans les jours qui viennent, vous continuerez de réfléchir aux solutions à  mettre en place”. alors cette réflexion peut être effectuée comme une prestation post-hypnotique, donc, dans une réminiscence de la transe d’origine, et la personne peut se plaindre d’avoir des épisodes de transe spontanée dans la semaine, où elle ne se sent plus elle-même, et où son cerveau semble bouillonner de réflexions, ce qui peut lui donner mal à  la tête. Encore pire si la suggestion est “Votre inconscient continuera de réfléchir et de travailler à …” Cela peut également entraîner un mauvais sommeil, et des pertes de mémoires durant tout la période où la suggestion se maintient. D’où l’importance? de connaître ces aspects théoriques et de les appliquer proprement.
Dans la pratique, on s’aperçoit qu’il existe des façons de formuler les suggestions qui permettent qu’elles agissent non pas à  un niveau «post-hypnotique», mais comme l’amélioration d’un comportement à  l’état vigile. Cependant, ce fait entraîne la nécessité d’un savoir-faire et confirme que l’hypnose n’est pas un jeu d’amateur mais l’affaire de professionnels éclairés et nécessite une formation solide à  ses aspects les plus spécifiques.
Il est possible, comme l’explique Erickson, de superposer une action consciente et une prestation post-hypnotique. Cependant, cela demande de bien formuler la suggestion sans évoquer l’action consciente afin de na pas induire un va-et-vient d’un état à  un autre, d’un tache à  une autre.

«Dans l’approche expérimentale du concept de dissociation, le problème consiste en fait à  concevoir une technique qui assure l’indépendance des tâches malgré la simultanéité des prestations».

Les développements ultérieurs d’Erickson sur le problème de la simultanéité des tâches à  des niveaux différents de conscience introduisent une réflexion possible sur les techniques d’entraînement à  l’hypnose par la saturation. C’est la question du partage de l’attention et la circonscription d’une tâche à  une partie d’une autre. Mais c’est là  un thème que je garde pour plus tard.


Je ne peux que vous inviter à  lire les cas rapportés dans cet article et que je peux malheureusement pas tous citer et notamment les expériences avec le garçon de ferme ou avec les sténographes.
Bonne lecture…

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